L’urgence climatique est aussi énergétique Contribution au Débat public Programmation pluriannuelle de l’énergie (19 mars – 30 juin 2018)

, par   Jean-Marie Brom

Depuis 1973, la situation énergétique de la France se caractérise par un recours massif à l’électricité, énergie elle-même basée pour plus de 75% sur la production nucléaire. Loin de garantir l’indépendance énergétique – puisque la totalité de l’uranium est importée –, cette stratégie du « tout électrique, tout nucléaire » a pour effet de freiner la transition vers les énergies renouvelables, entraînant un retard incontestable par rapport à nos voisins européens. Au contraire de ces derniers, l’État français se distingue par son manque manifeste de volonté politique pour s’engager vers la transition énergétique : le débat organisé en 2015 à l’occasion de la loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) n’a pas permis une confrontation de scénarios, et les gouvernements successifs, au-delà des promesses électorales – réduction de la part du nucléaire à 50 % d’ici 2025 et fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim –, se sont bien gardés de remettre véritablement en cause les dogmes énergétiques hérités du passé. Notre pays a de ce fait accumulé un retard critique, que les PPE 2018-2028 devront permettre de résorber, ce qui, pour La France insoumise, suppose de créer un pôle public et de réguler les prix, de garantir le droit à l’énergie, de réduire la consommation d’énergie, de sortir des énergies fossiles et nucléaires, et, enfin, d’intégrer l’énergie dans les choix d’aménagement.

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Jean-Marie Brom (coord.) : L’urgence climatique est aussi énergétique (contribution au Débat public Programmation pluriannuelle de l’énergie organisé du 19 mars au 30 juin 2018 en application de la la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015)
Pour aller plus loin : Changer de paradigme | Les Dossiers de Global-Chance.org

L’URGENCE CLIMATIQUE EST AUSSI ÉNERGÉTIQUE

Jean-Marie Brom (coord.), Contribution de « La France Insoumise » (*) au Débat public Programmation pluriannuelle de l’énergie (19 mars – 30 juin 2018), mercredi 13 juin 2018

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LA CRISE ÉCOLOGIQUE QUE NOUS TRAVERSONS AUJOURD’HUI EST DOUBLE

La crise climatique due à une consommation effrénée d’énergies émettrices de gaz à effet de serre pour satisfaire les besoins des pays les plus riches au détriment des autres s’accompagne d’une crise énergétique due à l’épuisement inéluctable des ressources non renouvelables que sont le charbon, le pétrole, le gaz et l’uranium.

La consommation d’énergie croît de façon exponentielle : elle a plus que doublé depuis 1973 et son évolution suit celle des produits intérieurs bruts. Cette situation ne pourra pas durer : dans le monde, 81 % de l’énergie consommée vient de sources non renouvelables (charbon : 20 % ; pétrole : 41 % ; gaz naturel : 20 % ; nucléaire : 2 %). Et la situation en France n’est pas à notre avantage : 84 % de l’énergie consommée provient de sources non renouvelables (pétrole 44 %, gaz 19 %, nucléaire 17 %, charbon 3 %).

Au rythme actuel, les réserves mondiales pour ces énergies seront quasi-ment épuisées d’ici un siècle. En outre, pour espérer ne serait-ce que contenir le changement climatique, l’essentiel de ces réserves devra rester dans le sous-sol.

L’utilisation de ces énergies non renouvelables est également responsable de la pollution atmosphérique aux particules fines qui provoque chaque année des centaines de milliers de décès prématurés dans le monde. À cela s’ajoutent les dangers reconnus de l’énergie nucléaire : le risque d’accident majeur, devenu incontestable depuis les accidents de Three Miles Island, de Tchernobyl et de Fukushima, ainsi que l’accumulation de déchets nucléaires pour lesquels aucune solution n’existe à ce jour.

Enfin, la plupart des conflits de l’époque moderne ont à leur source des problèmes d’approvisionnement énergétique, à la base des intérêts géo-politiques d’un monde multipolaire. La raréfaction des ressources ne fera qu’accroître dramatiquement l’intensité de ces conflits si l’énergie continue à être produite à partir de ressources non renouvelables et dont les sources sont concentrées dans certaines régions du monde.

Ce diagnostic est partagé et certains engagements ont été pris par les États dans le cadre des négociations internationales sur le climat (Kyoto 1997, COP 21...). Mais la mise en œuvre de mesures concrètes ne suit pas. Et surtout, ces engagements concernent principalement la limitation des émissions de CO2, alors que c’est l’ensemble de notre rapport à l’énergie qui doit changer si nous voulons surmonter la crise actuelle.

ÉLECTRICITÉ ET NUCLÉAIRE, LES SOURCES DE L’IMMOBILISME DE LA FRANCE

Depuis 1973, la situation énergétique de la France se caractérise par un recours massif à l’électricité, énergie elle-même basée pour plus de 75% sur la production nucléaire. Cette stratégie du « tout électrique, tout nucléaire » est loin de garantir l’indépendance énergétique, puisque la totalité de l’uranium est importée et extraite dans des conditions contestables. Elle a également pour effet de freiner la transition vers les énergies renouvelables, et a entraîné un retard incontestable par rapport à nos voisins européens.

Le secteur résidentiel et tertiaire, qui représente plus de 40 % de l’énergie consommée en France, reste dominé par l’électrique.

Dans le secteur des transports (30 % de l’énergie), la part du diesel reste prépondérante malgré une baisse sensible. Les véhicules diesel représentent encore 52 % des ventes en 2016... contre près de 1 % seulement pour les véhicules électriques.

Dans notre pays, le manque de volonté politique pour s’engager vers la transition énergétique est manifeste : le débat organisé sur l’énergie à l’occasion de la loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) n’a pas permis une confrontation de scénarios, le service public ayant disparu au profit d’acteurs privés pratiquant un lobbying actif.

Les engagements des gouvernements précédents et actuels (Grenelle de l’Environnement, LTECV...) n’ont ni remis en cause les dogmes énergétiques passés ni donné de moyens pour leur réalisation. On peut ici penser à l’objectif de réduction de la part du nucléaire à 50 % d’ici 2025 et à la promesse, maintes fois réitérée, de la fermeture de la centrale de Fessenheim. Mais ils n’ont jamais été concrétisés, l’État laissant EDF maintenir sa capacité nucléaire, voire l’augmenter, et ce, à des coûts faramineux.

Par ailleurs, la loi LTECV n’acte pas – loin s’en faut – la sortie du diesel et le développement des véhicules électriques ou au biocarburant. Certes, elle fixe des objectifs relatifs aux travaux d’isolation nécessaires à la réduction de la consommation liée au chauffage. Mais là encore, elle ne donne pas de moyens de mise en œuvre et continue à viser un objectif de croissance en tant que tel.

Même habillée de vert, cette croissance est incompatible avec la réduction annoncée, et nécessaire, de la consommation énergétique.

La politique énergétique des dernières années n’encourage ni la recherche ni les initiatives innovantes dans le domaine de l’énergie.

Cette absence d’investissement se fait au détriment de la mise en place d’une filière française du renouvelable, en accordant un soutien irresponsable aux projets absurdes, comme la poursuite de la construction de l’EPR ou la participation au projet de fusion ITER.

NOS PROPOSITIONS : FAIRE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

Notre pays doit rattraper au plus vite son retard critique dans tous les domaines de la gestion des ressources énergétiques. De même, l’aspect économique doit être pensé au vu de la réussite de la transition et d’une nécessaire solidarité.

Les mesures d’urgence :
Interdire toute subvention aux énergies fossiles.
Taxer le transport de marchandises par la route et l’aérien, par l’introduction d’une contribution carbone, et développer le ferroutage.
Rendre gratuits à moyen terme les transports collectifs urbains en commençant par les moins de 18 ans et les sans emploi.
Mettre en œuvre la sortie totale du nucléaire en commençant par l’arrêt de la centrale de Fessenheim en garantissant l’emploi des salariés et l’abandon de l’opération du grand carénage visant à prolonger la vie des centrales nucléaires au-delà de quarante ans avec pour objectif une sortie totale à l’horizon 2040-2050.
Abandonner le projet d’EPR de Flamanville et le projet CIGEO d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure.
Interdire réellement l’exploitation du gaz de schiste et du pétrole de schiste et de houille.
Mettre en place des schémas énergétiques au niveau national, régional et local.
Garantir l’accès à l’énergie domestique (chauffage, cuisson...) pour les plus précaires et mettre en place une tarification progressive incitant aux économies d’énergie.
Créer un pôle public de l’énergie pour mener une politique cohérente, en renationalisant EDF et Engie (ex-GDF) en lien avec des coopératives locales de production et de consommation d’énergies renouvelables et en favorisant l’autoproduction et le partage des excédents.
Soutenir les recherches et innovations sur les énergies les plus propres.

Source : scénario négaWatt 2015-2050

1. Créer un pôle public et réguler les prix

L’énergie est un bien commun

Son accaparement par des intérêts privés conduit à une dégradation du système, à un surcoût pour les usagers et à une perte de contrôle par la puissance publique de la politique énergétique. La planification écologique passe ainsi par la création d’un pôle public de l’énergie.

Nous reviendrons sur la libéralisation du secteur énergétique en abrogeant la loi NOME (Nouvelle Organisation du Marché de l’Électricité), tout en évitant les écueils des anciens monopoles publics. Il s’agira en particulier d’intégrer des formes de décentralisation et de garantir le contrôle citoyen aux différents niveaux de prise de décision.

Ce retour dans le secteur public permettra également d’offrir les mêmes garanties aux salarié·e·s de l’énergie, en étendant le statut des industries électriques et gazières à tou·te·s, afin que la transition énergétique ne se traduise pas par une précarisation de l’emploi.

Plus généralement, le prix de l’énergie ne peut être déterminé par le marché. Il doit bénéficier d’une garantie de stabilité dans le temps et répondre à des objectifs politiques complexes tels que la péréquation tarifaire, l’incitation aux économies d’énergie, l’accès à tou·te·s à l’énergie, le financement de filières moins polluantes, etc. Ce doit donc être un tarif défini par la représentation nationale.

2. Garantir le droit à l’énergie

L’énergie fait partie des besoins fondamentaux

Les dispositifs actuels n’en permettent pas l’accès effectif à tou·te·s parce qu’ils sont trop limités et nécessitent des démarches stigmatisantes que nombre de citoyen·ne·s refusent.

Tout comme la santé, l’éducation ou l’eau potable, l’accès à l’énergie pour les besoins de première nécessité et indispensables à une vie digne doit être gratuit pour tous, sans condition de ressources. En outre, une tarification progressive doit permettre de pénaliser les mésusages et les gaspillages de l’énergie, dans un objectif global de réduction de la consommation.

3. Réduire la consommation d’énergie

L’énergie la moins polluante est celle que nous ne consommons pas.

Les gisements d’économie d’énergie sont importants : relocalisation de l’économie pour éviter les coûts de transport de marchandises, développement du trans-port collectif, isolation des bâtiments, etc.

Il est possible, et le scénario Négawatt le montre, d’arriver à une baisse de 65 % de la consommation d’ici 2050 sans perte de service ou de qualité.

Par l’isolation des bâtiments, au lieu de réduire les contraintes...

Pour atteindre ces objectifs ambitieux, les travaux devront être pris en charge par l’État, rendant l’opération insensible en termes de coûts pour l’usager. L’investissement public permettra de lever tous les freins à l’isolation et de planifier les travaux à mener.

Dans le secteur agro-alimentaire

Ce secteur est l’un des responsables principaux de la production de gaz à effet de serre (agrochimie, transports de denrées, etc.). L’agroécologie offre un éventail de solutions qui contribueront à réduire ces con-sommations énergétiques et la nocivité des productions.

Dans le secteur des transports

Le développement des transports collectifs électriques, des modes de déplacement « doux » (vélo et marche) sera associé au développement de carburants alternatifs (électricité, gaz de synthèse...) pouvant utilement remplacer leurs homologues fossiles

4. Sortir des énergies fossiles et nucléaires

Dans le secteur électrique, la sortie des énergies fossiles et du nucléaire sera rendue possible par la baisse de la consommation, le développement des énergies renouvelables, le soutien aux infrastructures de ré-seaux et l’investissement dans les innovations énergétiques (« smart grids », stockage...). Ces différents leviers garantiront une transition énergétique effective, au plus proche des territoires et des citoyen·ne·s, tout en assurant la péréquation nationale et la création de nouvelles filières industrielles durables.

Le « tout nucléaire » est une impasse : minerai importé, fragilité technologique, risques d’accident, problème des déchets... Cette source d’énergie doit donc être abandonnée. Pour autant, le parc nucléaire ne pourra fermer du jour au lendemain.

Celui-ci doit être exploité dans des conditions optimales de sécurité jusqu’à la fermeture des centrales, ce qui implique notamment la limitation stricte du recours à la sous-traitance pour les activités ne pouvant être réinternalisées.

L’ensemble des personnels de la filière seront assurés de conserver leur emploi, avec l’objectif d’assurer un haut niveau de compétence dans le démantèlement des centrales. Enfin, pour permettre un débat public éclairé, seront rendues publiques les données sur l’enfouissement des déchets nucléaires depuis soixante ans afin d’informer sur les dangers sanitaires avérés ou éventuels.

5. Intégrer l’énergie dans les choix d’aménagement

Nous veillerons à ce que les outils de planification énergétique à l’échelle nationale et territoriale, respectent l’obligation de prise en compte de l’énergie dans les schémas d’aménagement du territoire.

L’État devra montrer l’exemple, par exemple en intégrant une évaluation systématique de l’impact énergétique et en CO2 de la commande publique, et en lançant un grand chantier de rénovation des bâtiments publics.

Dans le cadre de l’application de la règle verte, le critère de minimisation de l’impact écologique ne devra pas être sacrifié au prétexte de rentabilité économique à court terme dans le choix des filières.

Les projets publics débattus démocratiquement feront l’objet d’un contrat de service public, déclinant des objectifs précis et des statistiques de suivi.

Un investissement dans la recherche publique sur ce secteur facilitera la sortie du nucléaire et des énergies fossiles. Cette attitude ouverte permettra de se libérer des intérêts privés de rentabilité à court terme, vis-à-vis des avancées technologiques.

Tout investissement en matière d’énergie, qu’il soit public ou privé, devra être jugé à l’aune du retour sur investissement, financier mais surtout en termes d’emplois, de bien-être, de sécurité, d’indépendance énergétique…

La mise en place d’un groupe d’expert·e·s indépendant·e·s, permettant d’établir les avantages et inconvénients de chaque filière et la faisabilité des scénarios, aidera à la prise en main démocratique de la politique énergétique.


(*) « Pour ce qui est de l’énergie, les propositions de la France Insoumise reposent sur l’application de la « Règle Verte » : ne pas prélever sur la nature plus de ressources renouvelables que ce qu’elle peut reconstituer, et ne pas produire plus que ce qu’elle peut supporter.
Inspirées en particulier par le projet Négawatt, les propositions de la France Insoumise sont résumées dans le livret « 100% renouvelables »
La récente consultation faite par la France Insoumise a permis à plus de 300 000 personnes de s’exprimer sur la sortie du nucléaire. »

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Énergie, Environnement, Développement, Démocratie : changer de paradigme pour résoudre la quadrature du cercle (Manifeste publié en ligne le 1er mai 2014)

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