L’insertion des énergies renouvelables intermittentes dans les systèmes électriques : les contributions de l’analyse économique à une problématique d’ingénieur

, par   Philippe Menanteau


Philippe Menanteau (LEPII, CNRS – Université de Grenoble) et Cédric Clastres (G2ELab – Grenoble INP, LEPII)
Laboratoire d’Économie de la Production et de l’Intégration Internationale (LEPII – UMR 5252 CNRS – UPMF)
Note de travail n°15/2008, novembre 2008

Télécharger la note dans son format d’origine (pdf, 90 Ko)


La recherche d’une plus grande indépendance énergétique et une politique climatique volontariste ont conduit l’Europe a définir des objectifs ambitieux pour la production d’énergie renouvelable (Directive 2001/77 pour la promotion de l’électricité d’origine renouvelable et « Paquet Energie-Climat »). La part des sources renouvelables dans la production d’électricité devrait ainsi passer de 14 % en 1997 à 21% en 2010 puis approcher 35% en 2020. Différentes sources pourraient contribuer à la réalisation de ces objectifs dont la biomasse, l’éolien, la micro-hydraulique et, dans une moindre mesure, le solaire PV qui sont par nature décentralisées et/ou intermittentes. Un développement massif qui intervient dans un contexte de libéralisation des industries énergétiques et nécessite de ce fait une réflexion coordonnée de la part des ingénieurs et des économistes sur les conditions d’insertion de la production distribuée dans le système électrique.

Fondamentalement, l’insertion massive des énergies renouvelables (EnR) pose des problèmes d’ordre technique qui concernent en premier lieu les gestionnaires de réseaux. La première question que posent l‘éolien aujourd’hui et le photovoltaïque demain, est celle de la localisation. Elle conduit à un afflux de puissance sur des réseaux qui n’étaient pas organisés et dimensionnés pour la recevoir, faisant émerger des besoins de renforcement ou de transformation de ces réseaux. La seconde question relève de la gestion des moyens de production intermittents dans le système électrique. Pour des taux de pénétration relativement faibles, inférieurs à 10%, l’impact de la production intermittente reste limité et peut être pris en charge par le système électrique. En revanche lorsque leur proportion augmente, des moyens de production complémentaires doivent être mobilisés pour compenser d’éventuels déséquilibres ou défauts de capacité.

La communauté des ingénieurs est depuis de nombreuses années mobilisée sur ces problématiques de l’insertion des énergies décentralisées et intermittentes (cf par exemple les travaux effectués par le G2ELab ou IDEA). L’apparition des économistes dans ce champ de recherche est plus récente. Tant que la contribution de ces énergies était modeste, la question des coûts est restée secondaire. Avec la fixation d’objectifs de production de plus en plus ambitieux, et les perspectives d’augmentation des coûts des politiques de soutien, de renforcement des réseaux ou d’équilibrage, la vision économique a pris de l’importance. Et ce, d’autant plus qu’elle intervient dans un contexte de libéralisation des marchés de l’électricité qui incite à distinguer les coûts pour mieux les affecter à chaque acteur en fonction des charges qu’il impose à l’ensemble du système.

Dans un premier temps, les économistes se sont intéressés à la question de l’efficacité des dispositifs économiques de soutien destinés à pallier au manque de compétitivité de l’électricité d’origine renouvelables. Deux grandes familles d’instruments sont classiquement mobilisées pour stimuler ce développement : les instruments « prix » et les instruments « quantités ». Les premiers associent obligation d’achat et prix garantis (utilisés notamment en Allemagne ou en France) et sont généralement considérés comme étant les plus efficaces. Les seconds s’appuient sur des objectifs quantitatifs (les quotas) et des mécanismes de flexibilité (les certificats verts ou garanties d’origine). Ils retiennent de plus en plus l’attention parce qu’ils présentent en théorie une meilleure efficience économique et parce qu’ils favorisent l’intégration dans le marché électrique. Cette problématique de l’intégration a ainsi conduit à développer des dispositifs mixtes qui préservent l’efficacité des prix garantis tout en incitant les producteurs à mieux s’intégrer au marché de l’électricité. C’est le cas notamment du système espagnol de « premium » qui pousse les producteurs EnR à vendre leur électricité sur le marché aux conditions économiques du marché tout en leur allouant une rémunération complémentaire correspondant au caractère « vert » de leur production..

Outre l’efficacité des instruments d’incitation, les économistes examinent la question du partage des coûts d’insertion de la production distribuée sur les réseaux électriques. Concrètement, il s’agit de savoir s’il faut que l’ensemble des utilisateurs du réseau prennent en charge collectivement les coûts associés à cette insertion, avec l’avantage de favoriser son développement, ou bien s’il faut imputer aux producteurs distribués une partie significative des charges qu’ils génèrent pour mieux les inciter à s’implanter dans certaines zones par un signal tarifaire adapté.

L’équilibre offre/demande instantané est lui aussi rendu plus complexe avec le développement de moyens de production intermittents. L’amélioration des modèles de prévision météo est une des options techniques qui permet de réduire les écarts entre prévisions et productions réelles. Mais d’autres options, non techniques sont explorées telles que la modification des modalités de fonctionnement des marchés. Il s’agit notamment d’autoriser des délais plus courts entre les annonces et les injections effectives (pour améliorer la fiabilité des prévisions) ou d’accroître la tolérance sur les déséquilibres qui donnent lieu à des pénalités économiques. La gestion collective des déséquilibres constitue également une option. Les opérateurs ne paient alors que pour les déséquilibres résiduels, à charge pour le gestionnaire du réseau de transport de répartir le montant des pénalités entre tous les opérateurs dont les positions ont connu des écarts significatifs.

Les solutions pour une meilleure intégration de la production intermittente et distribuée ne se trouvent pas uniquement dans les modalités de fonctionnement des marchés. Les producteurs EnR négocient aussi de nouveaux types de contrats avec des producteurs d’énergies conventionnelles ou hydrauliques pour pallier aux périodes de sous-production. Certains ont mis en application le concept de « centrale virtuelle » qui consiste à agréger des offres ayant des profils de charge différents. La mutualisation des moyens de production s’applique alors à une même source (parcs éoliens bénéficiant de ressources distinctes), ou à plusieurs sources d’énergie ayant des profils complémentaires (solaire et éolien, par exemple ou éolien et moyens de production thermiques) avec l’objectif de lisser la courbe de charge et limiter le risque de non fourniture.

Enfin, les économistes s’intéressent bien entendu à la question de l’impact que ces coûts d’intégration (instruments d’incitation, renforcement réseau, gestion des déséquilibres,…) peuvent avoir sur le prix de l’électricité. Compte tenu de son coût marginal quasi-nul, la production EnR est parmi les premières appelées au merit order pour la satisfaction des besoins de consommation. En se substituant à des unités de production plus coûteuses, elle devrait donc agir sur les prix à la baisse. En pratique, l’intégration des EnR produit un impact plus nuancé qui tient i) à la répercussion du coût des politiques de soutien plus ou moins répercuté dans les prix de vente et ii) aux besoins de capacités de réserves supplémentaires et au recours plus important au marché d’équilibrage induit par le manque de prévisibilité de la production.

Si à l’origine la problématique de l’intégration des EnR était clairement positionnée sur des thématiques d’ingénieur, on voit qu’il n’est aujourd’hui plus possible de traiter cette question dans une perspective strictement disciplinaire. Pour répondre au défi que représente la forte augmentation attendue de la contribution des sources d’énergie intermittentes et distribuées, d’autres disciplines doivent être mises à contribution parmi lesquelles l’analyse économique ainsi que nous avons essayé de l’illustrer, mais certainement aussi la sociologie ou la science politique dans la perspective d’une intégration plus harmonieuse de ces nouvelles sources d’énergie.

(haut de page)