L’EPR...2 ...encore la ligne Maginot ?

, par   André Marquet

L’EPR devenu Français après le renoncement de Siemens, a connu des déboires colossaux. Celui de Flamanville, brandi au départ comme le nec plus ultra de la sûreté, doit démarrer provisoirement en 2023 (coût bientôt 6 fois plus élevé que prévu – 20 milliards d’€ contre 3,5 au départ, 10 ans de retard pour une mise en service provisoire avant le changement de couvercle de cuve). Celui vendu à la Finlande connaît un démarrage chaotique avec 13 ans de retard. Les deux construits en collaboration avec la Chine connaissent des problèmes de fonctionnement : l’un est à l’arrêt depuis juillet. Ceux construits au Royaume Uni ont déjà pris plus d’un an de retard.

Les technologies alourdies retenues par la France pour éloigner le risque d’un accident grave ne doivent pas faire oublier la nature de ce risque. Si un assemblage de combustible nucléaire (uranium enrichi) n’est plus refroidi - ici par l’eau sous pression - , il fond à très haute température et l’on ne peut que tenter de contenir ce magma en fusion dit « corium » qui risque de répandre une radioactivité mortelle à des dizaine de km à la ronde.

C’est ce «  modèle » EPR qui est retenu par EDF comme apprentissage pour proposer une version simplifiée mais à protection améliorée dite EPR2 comme fondement d’un programme de 2, puis 6, puis 14 réacteurs d’une puissance unitaire inégalée de 1670 MW qui a été annoncé en Juillet comme SOCLE, à partir de 2035 ou 2037, d’une électrification accrue, dans les transports notamment, pour parvenir à une neutralité carbone en 2050. Pour projeter un coût d’électricité abordable avec ces réacteurs qui ont un coût du MW installé supérieur à celui des plus puissants réacteurs du parc actuel, EDF prévoit d’emblée de les concevoir pour une durée de vie de 60 ans, ce qui veut dire que ce SOCLE conditionne et planifie l’électrification au-delà du 21ème siècle.

Parmi les écueils à résoudre encore, en anticipation de la mise en route provisoire de l’EPR de Flamanville, est apparu celui des fissurations de zones soudées dans les raccordements de circuit primaire par « corrosion sous contrainte ». Ces défauts « inattendus » selon les termes du directeur de la production thermique d’EDF et du directeur de l’autorité de sûreté (ASN) lors de leur récente audition devant l’Office Parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), affectent potentiellement 16 réacteurs du parc nucléaire les plus puissants, dont 12 sont arrêtés dans un premier temps, compromettant une fourniture d’électricité suffisante pour satisfaire les appels de puissance de pointe pendant au moins deux hivers.

Ce directeur explique notamment qu’il s’agit là d’un défaut générique ayant fait l’objet d’une stratégie approuvée par l’ASN. L’étude et l’évolution de ces fissurations combinant contrainte mécanique et action chimique aux joints de grains de l’acier austénitique utilisé (et rejaillissant peut-être à l’intérieur des grains), ainsi que la qualification des procédés d’analyse et de détection des défauts peuvent selon les termes de ce directeur « demander encore plusieurs années de travail » au plan national et international.

Lancer un nouveau programme nucléaire EPR2 dans ces conditions paraît surprenant, en prenant le risque :
 soit de fonctionnements chaotiques récurrents et désastreux sur le plan économique, comme on en fait l’expérience cet hiver 2022/2023 ;
 soit d’accidents de « brèche primaire » pouvant aboutir à la fusion du cœur des réacteurs, les rendant au mieux inexploitables, au pire entraînant des émissions gravissimes de produits radioactifs dans l’environnement.

Pourquoi donc engager avec une pareille urgence et bien au delà du siècle en cours un programme d’une telle ampleur, sur lequel pèsent tant d’incertitudes et de dangers ?

Le fait est que les conditions géopolitiques créées notamment par la guerre en Ukraine obligent à prendre encore plus au sérieux les risques d’agressions de toutes sortes contre des centrales concentrant en un point précis de territoire des productions répondant aux consommations de régions entières. Cette concentration territoriale dont l’argumentaire EDF se vante, est aussi un inconvénient grave en matière de résistance aux agressions. Et ceci oblige à « bunkeriser » les organes porteurs de risques sévères en cas d’attaques ou d’évènements tels qu’un séisme ou des inondations catastrophiques. Ce serait le cas du bâtiment réacteur et aussi les piscines de désactivation des combustibles usés qui, dans les installations antérieures, étaient insuffisamment protégées. Mais on comprend que ces préoccupations toujours plus fortes correspondent à des systèmes de plus en plus centralisés avec des puissances et des risques associés de plus en plus concentrés.

Dans le cadre d’un dérèglement climatique de plus en plus difficile à contrôler, nous sommes confrontés en Europe et dans le monde à ce qu’on peut appeler une ou des guerres de l’énergie. Envisager un tel programme figeant les productions et les risques associés, ainsi que ses paramètres économiques jusqu’au 22ème siècle dans ce contexte éminemment changeant est une démarche complètement inadaptée. Elle ne peut répondre aux très nombreux mouvements rapides de la situation, et aux besoins de flexibilité économique qui ne manqueront pas d’apparaître, sous une pression inflationniste inévitable ou cyniquement entretenue.

Dans un tel contexte, on peut qualifier ce programme de « nouveau nucléaire » comme une sorte de « Ligne MAGINOT » énergétique. Rester en retard d’une guerre entraîne des conséquences dramatiques, et les retards encore accumulés par la France en matière d’ENR font craindre le pire.

Le recours à un programme nucléaire massif en 1973 correspondait pour ses promoteurs aux chocs passés d’une société de consommation qui se voyait encore durer et croître indéfiniment ; le « nouveau nucléaire » ne répond pas à un monde sujet à des conflits latents apparaissant et évoluant en un temps réduit, en lien ou non avec l’aggravation du dérèglement climatique.

Une société plus sobre et plus résiliente finit par s’imposer en France comme ailleurs dans le monde. Une persistance dans une voie de conquête nucléaire démentie dans les faits au plan mondial risque fort de mener à un naufrage industriel et économique, et à un retard social de notre pays et de ceux qui l’auraient suivi dans cette voie.