Guignol l’écolo et les gendarmes atomiques

, par   Webmestre Global Chance

Deux ans après le début de la catastrophe de Fukushima, et alors que le gouvernement français organise un « débat national sur la transition énergétique », comment dépeindre à l’intention du plus grand nombre la situation explosive de la France nucléarisée ?

Quelles informations, quelle forme retenir pour être à la fois clair et précis, direct et juste, en s’appuyant sur les publications de Global Chance et de ses membres, tout en privilégiant un langage plus accessible aux néophytes ?

Page publiée en ligne le 1er avril 2013
Dernière MAJ technique : 4 décembre 2017, 22h50

Sur cette page :
Guignol l’écolo et les gendarmes atomiques (essai libre)
Le nucléaire, c’est d’la bombe ! (en savoir plus - sélection subjective)
À découvrir également sur le site de Global Chance (sources & références)

GUIGNOL L’ÉCOLO ET LES GENDARMES ATOMIQUES

Le 11 mars 2011, la centrale nucléaire de Fukushima partait méchamment en vrille.

66 ans après Hiroshima et Nagasaki, l’humanité sidérée vivait en direct le début d’un nième accident nucléaire, 32 ans après Three Miles Island, 25 ans après Tchernobyl, pour ne citer que les plus connus.

Tous ces accidents sont des accidents durables, c’est-à-dire des accidents dont la durée est indéfinie. Fukushima, deux ans après, on en parle moins, mais la catastrophe dure toujours et pour longtemps.

Elle dure au niveau de la centrale elle-même, où, quoiqu’en puissent dire TEPCO et le gouvernement japonais, la situation est encore d’être stabilisée.
L’état de la piscine du réacteur 4, où sont entreposées plus de 250 tonnes de matières fissiles hautement radioactives, fait craindre un « désastre planétaire en puissance ».
Des tonnes d’eau sont encore injectées chaque jour dans les réacteurs détruits, sans qu’aucune solution satisfaisante n’ait été trouvée pour la gestion des stocks d’eau contaminée.
Le démantèlement complet de la centrale, quant à lui, devrait s’étaler sur une période de 40 ans...

Autour de la centrale aussi, la catastrophe est durable.
Une zone d’exclusion de 20km a été instaurée, mais on trouve des territoires fortement contaminés dans un rayon plus large, et 30 000 km2 ont au total été affectés, soit 8% de la surface du Japon.
Autour de Fukushima, c’est ainsi l’équivalent d’une région française qui est sinistrée pour des décennies, et que plus de 150 000 personnes ont dû évacuer...

En France, la catastrophe de Fukushima a surtout relancé le débat sur le nucléaire.
Face à l’évidence, on aurait pu, comme l’ont fait d’autres pays, décider sans plus attendre de sortir du nucléaire.
Mais non : on débat, on discute, on perd du temps.

Sur la scène, à gauche, Guignol l’écolo nous alerte à grands cris :
« Le nucléaire, c’est la bombe ! ».
Face à lui, à droite, les Gendarmes de l’atome agitent leurs gros bâtons :
« L’EPR, c’est d’la bombe ! ».

Un bien beau spectacle... qui cache une double réalité :

1. Gendarme n’a plus les moyens de faire la bombe...

Publié en janvier 2012, un rapport de la Cour des comptes a mis les pieds dans le plat : un programme massif de relance nucléaire est hors de portée. Nos ressources collectives ne nous permettent pas de construire de nouveaux réacteurs au rythme d’enfer qui fut celui de l’édification du parc nucléaire actuel pendant les années 70 et 80.

Le projet de relance nucléaire porté par Gendarme reposait sur le nouveau réacteur EPR, un monstre de technologie radioactive vendu à l’opinion à grands renforts de superlatifs : plus puissant, plus sûr, l’EPR serait le fleuron industriel du génie national, la vitrine de l’excellence nucléaire française, le fer de lance du renouveau atomique mondial…

Aujourd’hui, ce grand projet de nos grands ingénieurs a du plomb dans l’aile : le chantier pilote de Flamanville accumule les retards, les accidents et les malfaçons.
Initialement prévue pour 2012, la date de raccordement au réseau n’a cessé d’être repoussée : EDF annonce désormais une mise en service en 2016.
Et la facture explose : annoncé à l’origine à 2.8 Md €, l’EPR de Flamanville devrait au final en coûter plus du triple...

Au-delà de cet échec industriel majeur, le constat fait par la Cour des comptes est sans appel, comme l’illustrent ces propos de son président :

« (...) à travers l’absence de décision d’investissement, une décision implicite a été prise qui nous engage déjà : prolonger nos centrales au-delà de 40 ans, ou faire évoluer significativement et rapidement le mix énergétique (...) »

Pour Gendarme, il n’y pas lieu de débattre : la sortie du nucléaire, c’est un rêve de Guignol, et le prolongement du parc actuel est la seule “solution” crédible.

2. Guignol est un sage... mais pas un magicien !

Pour Guignol, il n’y a pas photo : faire de l’acharnement thérapeutique au chevet du nucléaire moribond, ce serait accepter d’entrer dans une zone de risques croissants.

De fait, Fukushima a déjoué les savants calculs probabilistes des promoteurs du nucléaire : pour l’heure, le nombre d’accidents majeurs est 300 fois plus élevé que prévu...

En France, AREVA et EDF ont été sommés en 2011 de réaliser des « évaluations complémentaires de sûreté », sous le contrôle de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) et de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN).

Ces autorités estiment que les résultats de ces « stress-tests » ne justifient l’arrêt immédiat d’aucune installation nucléaire. Mais elles n’en reconnaissent pas moins le plus officiellement du monde que ni la conception ni les dispositifs de sûreté des centrales nucléaires actuellement en service « ne prennent en compte des scénarios comme Fukushima avec une perte totale d’eau et d’électricité ».

Bref : la réalité de la France nucléarisée, c’est qu’on y vit sous la menace permanente de l’accident nucléaire majeur.

Guignol n’a donc guère de mal à mettre le public de son côté quand il dénonce Gendarme et sa bombe à retardement nucléaire et interroge à la ronde : « faudra-t-il en France un accident nucléaire majeur pour sortir du nucléaire ? »

Sauf que la question n’est plus désormais de savoir si l’on veut ou non sortir du nucléaire, mais si nous sommes capables d’en sortir vite ou si on va traîner en chemin.
Avec à la clé cet enjeu : arriverons-nous au terme de cette révolution énergétique sans vivre un nouveau Fukushima ?

Guignol l’écolo, justement, se rappelle à notre bon souvenir, en tirant de sa poche son programme pour sortir vite fait bien fait du nucléaire : la « transition énergétique ».
Il s’agit, pour reprendre les termes du président de la Cour des comptes [1], de « faire évoluer significativement et rapidement le mix énergétique », mais aussi, et surtout, de maîtriser enfin la demande énergétique en combinant sobriété et efficacité.

Mais s’il fait preuve de sagesse, Guignol l’écolo n’est pas un magicien : la sortie du nucléaire n’est pas pour demain...
Car quoiqu’il arrive sur scène, la réalité, c’est aussi que la menace pèsera longtemps sur nous. Parce que le nucléaire, qu’on veuille y rester ou en sortir, on y est, et jusqu’au cou.
Et quand on y est, on y est pour longtemps, même quand on a décidé d’en sortir. Déchets, vieilles centrales : le nucléaire et sa radioactivité nous resteront longtemps sur les bras...
Non content de nous exposer à une catastrophe majeure, Gendarme nous lègue ainsi un héritage empoisonné.

Dans le public, petits et grands s’époumonent en cœur : « Va-t-en, méchant Gendarme atomique, place à Guignol et à sa transition énergétique ! »

Sur scène, Gendarme, sous les huées, cherche la sortie, tandis que Guignol, sous vos applaudissements, rayonne...

Rideau.

Y.S. - 11 mars 2013


Reproduction libre.

Téléchargements :
“Essai libre” au format A4 simple (pdf, 48 Ko)
“Essai libre” + sa “sélection subjective” dans leur mise en page telle que publiée (pdf, 425 Ko)


Cet “essai libre” et sa “sélection subjective” ont été publiés pour la 1ère fois par AVATARIUM 14, revue à comité de lecture (*) diffusée par les organisateurs du festival du même nom (Saint-Etienne, Loire, du 6 au 13 avril 2013 : plus d’infos).

L’un et l’autre sont des versions actualisées et légèrement remaniées d’éléments préparés début 2012 pour alimenter la « Chronique de l’idiot du village global », dans le cadre de l’émission « Soleil Vert » diffusée sur la radio associative locale Radio Dio le jeudi 8 mars 2012.

Y.S.

(*) AVATARIUM 14, mars 2013, 64 pages.
Tirage : 10 000 exemplaires. Comité (invisible & informel) de lecture : punks et poètes...

(haut de page)

LE NUCLÉAIRE ? C’EST D’LA BOMBE !

(Sélection subjective)

Images & sons

Fukushima Daiichi Nuclear Plant Hi-Res Photos
Vues aériennes de la centrale de Fukushima, 20 et 24 mars 2011. No comment...

Daremomienai Nioimonai (clip vidéo)
Rankin Taxi and Dub Ainu Band, Japon, 2011, durée 4’28
« Radiation is strong, radiation is powerful, it doesn’t discriminate, and you can’t beat it
Radiation is scary, radiation is dangerous, you can’t see it or smell it, and you can’t run from it
 »

Fukushima, chronique d’un désastre (film documentaire)
Steve Burns, Akio Suzuki et Akihiko Nakai, NHK, Japon, 2012, durée 47 mn
Que s’est-il passé, le 11 mars 2011, dans la salle des commandes de la centrale de Fukushima ? Quelle est la chronologie exacte de la série de graves dysfonctionnements qui conduisit à la fusion du cœur des réacteurs et au désastre subséquent ?

Sur Dailymotion

Sur Youtube

Into Eternity. La cachette nucléaire (film documentaire)
Michael Madsen, Magic Hours Films, 2010, durée 1h15
Onkalo, Finlande. Peut-on construire un site souterrain pour stocker des déchets nucléaires hautement radioactifs et assurer son inviolabilité pendant... 100 000 ans ? Le documentaire de science-fiction est né, fascinant et vertigineux.

Radioactivity (clip vidéo)
Kraftwerk, Allemagne, 1975, durée 6’42
« Radio Aktivität - Wenn’s um unsere zukunft geht - Radio Aktivität - Für dich und mich in All entsteht »

Associations

Global Chance
Une expertise indépendante dans le débat sur l’énergie et l’environnement

NégaWatt
Sobriété, efficacité, renouvelables : une démarche en trois temps pour réussir la transition énergétique

Observatoire du nucléaire
Organisme indépendant de surveillance de l’industrie nucléaire

Réseau Sortir du Nucléaire
Fédération d’un millier d’associations et près de 60 000 personnes pour une France sans nucléaire

Articles

(encadré = résumé au survol)

J’ai vu « l’Esprit du monde », non pas sur un cheval, mais sur un nuage radioactif (...)
Jérôme Vidal et Charlotte Nordmann, Revue internationale des Livres et des idées, numéro 14, novembre-décembre 2009
Si le présent de la catastrophe nucléaire n’est pas l’occasion d’une réappropriation collective des enjeux énergétiques, elle est vouée à renforcer encore les dispositifs de pouvoir et de contrôle qui nous dépossèdent chaque jour un peu plus de la maîtrise de notre propre vie.

Entre silence et mensonge. Le nucléaire, de la raison d’état au recyclage « écologique »
Bernard Laponche, La Revue internationale des Livres et des idées, n°14, novembre-décembre 2009
La question du nucléaire est double, à la fois technico-scientifique et démocratique : « il y a le problème du nucléaire lui-même, de ses risques, et il y a le problème des gens qui s’en occupent. »

Ouvrages

(encadré = résumé au survol)

Manifeste négaWatt : réussir la transition énergétique
Association négaWatt / Thierry Salomon, Marc Jedliczka et Yves Marignac, Éditions Actes Sud, janvier 2012, 376 pages
Sortir du nucléaire tout en réduisant nos émissions de CO2, alléger la facture énergétique tout en créant plusieurs centaines de milliers d’emplois… Un guide pour l’action, réaliste et engagé.

En finir avec le nucléaire. Pourquoi et comment
Benjamin Dessus et Bernard Laponche, Édition du Seuil, Collection Sciences, octobre 2011, 176 pages
À l’heure où la France nucléarisée s’interroge sur ses choix énergétiques après la catastrophe de Fukushima, ce « court essai, dense et argumenté, devrait faire date pour ses qualités de réflexion, d’information et de prospective » (La Recherche, novembre 2011).

Le sens du vent. Notes sur la nucléarisation de la France au temps des illusions renouvelables [2]
Arnaud Michon, Éditions de l’Encyclopédie des nuisances, avril 2010, 112 pages
Les technologies de production d’énergie dites renouvelables ne font que perpétuer la société industrielle par de nouveaux moyens. Il n’est pas possible de tourner la page du nucléaire sans remettre en cause tout le système des besoins qui, dans la présente organisation sociale, impose une production massive d’énergie.

(haut de page)

À DÉCOUVRIR ÉGALEMENT SUR LE SITE DE GLOBAL CHANCE

Pour aller plus loin...

Publications de membres de l’association
Cahiers et Mémentos de Global Chance
Dossiers thématiques

(encadré = résumé au survol)

Publications de membres de l’association

Un Noël de bure
Benjamin Dessus, conte de Noël, 24 décembre 2012

« La facture de l’EPR devrait encore augmenter d’ici à 2016 »
Bernard Laponche (interview), LeMonde.fr, mardi 4 décembre 2012

Discours d’acceptation du « Nuclear-Free Future Award 2012 »
Yves Marignac, Heiden (Suisse), samedi 29 septembre 2012

Accident nucléaire : l’inacceptable pari
Bernard Laponche, in « Atomes crochus : argent, pouvoir et nucléaire », Réseau Sortir du Nucléaire, juillet 2012

Le nucléaire bon marché ?
Benjamin Dessus, in « Atomes crochus : argent, pouvoir et nucléaire », Réseau Sortir du Nucléaire, juillet 2012

Choix énergétiques : un débat biaisé
Benjamin Dessus, Pour La Science, n°414, avril 2012, pp. 30-35

Un an après Fukushima, prolonger le nucléaire en France est une bombe à retardement
Yves Marignac, Le Plus du NouvelObs.com, lundi 12 mars 2012

Énergie : « demain, tous prod’acteurs » ?
Benjamin Dessus (interview), L’Âge de faire, n°62, mars 2012

Sûreté nucléaire en France post-Fukushima
Analyse critique des évaluations complémentaires de sûreté (ECS) menées sur les installations nucléaires françaises après Fukushima
Arjun Makhijani et Yves Marignac, Rapport d’expertise IEER / WISE-Paris, 176 pages, lundi 20 février 2012

Nécessités et limites des scénarios énergétiques
Benjamin Dessus, Thierry Salomon, Meike Fink, Stéphane Lhomme et Marie-Christine Gamberini (entretiens), Les Amis de la Terre, jeudi 29 décembre 2011, 29 p.

Énergie - Environnement - Développement - Démocratie :
changer de paradigme pour résoudre la quadrature du cercle

Global Chance, mai 2011

Fukushima (poème)
Y.S., mars 2011

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Cahiers et Mémentos de Global Chance

(encadré = informations complémentaires au survol)

Le casse-tête des matières et déchets nucléaires
Les Cahiers de Global Chance, n°34, novembre 2013, 76 pages

Des questions qui fâchent : contribution au débat national sur la transition énergétique
Les Cahiers de Global Chance, n°33, mars 2013, 116 pages

L’énergie et les présidentielles : décrypter rapports et scénarios
Les Cahiers de Global Chance, n°31, mars 2012, 100 pages

Nucléaire : le déclin de l’empire français
Les Cahiers de Global Chance, n°29, avril 2011, 112 pages

Nucléaire : la grande illusion - Promesses, déboires et menaces
Les Cahiers de Global Chance, n°25, septembre 2008, 84 pages

Petit mémento des déchets nucléaires
Éléments pour un débat sur les déchets nucléaires en France
Les Cahiers de Global Chance, hors-série n°2, septembre 2005, 48 pages

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Les Dossiers de Global-Chance.org

(par ordre chronologique de publication en ligne)

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