« Fukushima a déclenché une prise de conscience collective »

, par   Pierre Cornut

La « catastrophe durable » de Fukushima a mis en évidence la menace permanente d’un accident nucléaire majeur, tout en révélant l’incurie des exploitants et des autorités, mais aussi l’opacité qui entoure la question nucléaire ainsi que la confiscation des enjeux énergétiques par l’État et le lobby nucléaire. Fukushima, de ce fait, a déclenché une large prise de conscience collective, y compris en France, et une volonté nouvelle de réappropriation par la société civile de son avenir énergétique, avec à la clé un renouveau du débat public sur le nucléaire et un intérêt inédit pour les scénarios de sortie du nucléaire.

Pierre Cornut (interview), Le Dauphiné Libéré, jeudi 23 février 2012

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Introduction
Interview publié par Le Dauphiné Libéré
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introduction

Tous deux membres de Global Chance, Pierre Cornut et Natacha Gondran ont animé le débat programmé à la suite de la projection du film documentaire « Into Eternity » de Michael Madsen, dans le cadre de la soirée inaugurale du 3ème festival « Cinéma et développement durable » organisé du 2 au 10 mars 2012 “en terre nucléaire” par la communauté de communes du Vinobre (Ardèche) sur le thème « Énergie : changement d’ère ».

Cet interview de Pierre Cornut a été publié par Le Dauphiné Libéré une semaine avant le festival, accompagné d’une présentation de ce dernier.

« fukushima a déclenché une prise de conscience collective »

Pour reprendre le thème du festival, peut-on dire qu’on assiste à un « changement d’ère » en matière de nucléaire ?

Très clairement, oui. La « catastrophe durable » de Fukushima a de ce point de vue été un révélateur et un déclencheur.
Révélateur de la réalité permanente des risques nucléaires et de leur nature, révélateur de la possibilité constante d’un accident nucléaire majeur, y compris dans un pays disposant a priori d’un très haut niveau de maîtrise technologique, révélateur de l’incurie des exploitants et des autorités, mais aussi de l’opacité qui entoure la question nucléaire et de la confiscation des enjeux énergétiques par l’État et le lobby nucléaire.
Déclencheur d’une large prise de conscience collective, y compris en France, et d’une volonté nouvelle de réappropriation par la société civile de son avenir énergétique. Déclencheur donc d’un renouveau du débat public sur le nucléaire et, par voie de conséquence, d’un intérêt inédit pour les scénarios de sortie du nucléaire.
Il y a donc bien un « changement d’ère » en matière de nucléaire, et la principale question qui se pose à nous désormais est de savoir si nous aurons besoin en France d’un accident nucléaire majeur pour nous mettre en mouvement vers la transition énergétique...

Le documentaire nous apprend qu’un “sanctuaire” actuellement en construction en Finlande est destiné à renfermer des déchets radioactifs pour 100 000 ans. Qu’elle est la situation en France au niveau de la gestion des déchets ?

La France est le pays le plus nucléarisé du monde, mais la question des déchets nucléaires n’y a toujours pas reçu de réponse satisfaisante. Ces déchets s’accumulent donc, soit sur les sites mêmes de production, soit dans divers centres de stockage de surface, où ils sont répartis en fonction de deux critères : leur niveau de radioactivité (faible, moyenne, haute) et leur durée de vie.
À terme, les déchets moyennement et hautement actifs à vie longue sont censés être enterrés dans un site de stockage géologique profond, comme celui de Bure dans la Meuse - qui pour l’heure n’est officiellement qu’un « laboratoire » pour tester cette option.
En attendant, la production de déchets se poursuit et devrait même s’amplifier à l’avenir : l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs estime que leur volume total aura doublé en 2030, et presque triplé à l’issue du démantèlement des installations existantes.
La « gestion » de ces déchets est coûteuse, et elle le sera encore plus à l’avenir, d’autant que les incertitudes restent nombreuses, et avec elles les risques de dérive financière. Pour l’ensemble de l’aval du cycle, l’estimation minimale du coût par la Cour des comptes est de l’ordre de 50 milliards d’euros...

Ce film pose aussi la question du coût moral pour les générations futures. Comment leur transmettre au mieux ce “patrimoine” ?

Sur le plan environnemental, et au-delà de la seule question du nucléaire, c’est littéralement un « héritage empoisonné » que nous transmettons à nos enfants et aux générations futures.
Par exemple, notre consommation effrénée de combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz) depuis le début de la révolution industrielle se traduit par un « déstockage » massif et rapide du carbone fossile lentement accumulé au cours de millions d’années. Ce carbone fossile est relargué sous forme de CO2 dans l’atmosphère, où il contribue très fortement à l’accroissement de l’effet de serre et donc au réchauffement climatique.
Or que propose le lobby nucléaire face à cette menace ? Rien d’autre que d’essayer de prolonger encore un temps un modèle énergétique non durable, quitte à léguer aux générations futures le fardeau alourdi d’un passif nucléaire extrêmement complexe à gérer !
Notre responsabilité morale est donc énorme : contrairement à la dette financière qui fait la une de l’actualité, nos dettes climatique et nucléaire ne pourront être effacées d’un trait de plume.

Propos recueillis par Mylène Jourdan

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(si encadré : résumé au survol)

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Nucléaire : par ici la sortie !
(Rapports, analyses, tribunes, interviews, etc. : les propositions de Global Chance et de ses membres pour, enfin, sortir du nucléaire)

Du même auteur

« Contribution climat énergie : agir sur l’offre... et sur la demande »
Pierre Cornut, Acteurs de l’économie Rhône-Alpes, numéro 84, juillet-août 2009

CO2lonialisme
Pierre Cornut, Silence, n°361 : « Les nouvelles formes de colonialisme », octobre 2008

De l’influence du carbon-lobby (pdf, 52 Ko), Pierre Cornut, in :
« Climat, énergies : éviter la surchauffe », Les Cahiers de Global Chance, n°19, avril-juin 2004

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