Faire évoluer Kyoto

, par   Laurence Tubiana

Laurence Tubiana
Nouveaux Regards, revue trimestrielle de l’Institut de Recherches de la FSU, n°39, octobre-décembre 2007

Le changement climatique domine désormais l’agenda international et bénéficie d’une mobilisation exceptionnelle, comme en témoigne la décision récente de consacrer à cette cause le prix Nobel de la Paix. Cette mobilisation va-t-elle suffire à relancer le processus de négociation, en panne depuis le refus des États-Unis de ratifier le protocole de Kyoto ? C’est possible, mais cela suppose, pour l’Europe en particulier, de faire évoluer ce processus et de faire évoluer le cadre de la négociation.

L’approche européenne est en effet principalement fondée sur des objectifs quantifiés de réduction d’émissions pour tous les pays, avec l’idée que la prise d’engagements ambitieux de la part des pays industrialisés pourra inciter les pays émergents à s’impliquer dans l’effort international. L’Europe reste donc, malgré quelques aménagements, dans une logique « Kyoto ». L’administration Bush défend, elle, une approche « bottom up » fondée sur la reconnaissance d’efforts nationaux laissés à l’initiative des gouvernements. Les pays émergents seront ainsi, d’une manière ou d’une autre, les arbitres de ce désaccord. L’enjeu pour l’Europe est donc de les convaincre qu’il existe des options protégeant leurs intérêts vitaux et contribuant dans le même temps à la solution du problème climatique.

Le défi est également de prendre la mesure des changements intervenus depuis la signature du Protocole de Kyoto il y a 10 ans. La question n’est plus « comment répartir l’effort », à partir d’une confrontation entre « un droit au développement » d’une part et un « devoir de lutter contre le changement climatique » d’autre part. La question est d’agir aujourd’hui sur les déterminants des niveaux d’émission à moyen et long terme des pays émergents. Il s’agit d’orienter les investissements à longue durée de vie de ces pays (centrales électriques, bâtiments, systèmes de transport…) vers des solutions moins intensives en carbone. De ce point de vue, les travaux du GIEC [1] débouchent sur des scénarios énergétiques mondiaux compatibles avec la stabilisation du réchauffement climatique et apportent des indications utiles sur les marges de manœuvre au Nord comme au Sud et les grandes échéances.

Le débat sur les trajectoires d’émissions de CO2 à long terme amène à examiner comment les technologies disponibles peuvent être déployées rapidement et comment accélérer le développement de celles qui sont attendues. Mais il confirme également la nécessité de changements structurels du côté de la demande en énergie, notamment dans les bâtiments, les infrastructures urbaines et les transports.

Parallèlement, la perception de la question climatique par les pays émergents a évolué : ils ont besoin de technologies, font chaque jour des choix d’investissement qui déterminent leur futur mode de développement. Ces pays prennent également conscience qu’avec un baril de pétrole à 90 $, l’inefficacité énergétique devient un obstacle majeur à leur croissance et à leur indépendance.

Un accord avec les pays émergents implique ainsi l’élaboration d’un partenariat fondé sur un nouveau modèle de développement, sur les investissements à réaliser pour le mettre en œuvre et sur leur financement, et non pas sur une répartition équitable d’un fardeau.

Ce partenariat doit combiner les acquis de Kyoto et des instruments susceptibles d’infléchir les dynamiques d’investissement dans les infrastructures énergétiques et urbaines, le mécanisme de développement propre créé par le protocole de Kyoto n’étant pas à la hauteur de ces enjeux. Il doit également alléger les contraintes de compétitivité industrielle, qui pèsent sur l’efficacité et l’acceptabilité des mécanismes mis en place.

L’Europe doit dans cette optique proposer un accord global qui intègre différents volets : partage du surcoût des investissements, incitations économiques locales et mondiales efficaces, règles commerciales, droits de propriété intellectuelle, etc. Pour les pays développés, cette approche facilitera la résolution de certains problèmes de compétitivité ou de « délocalisations environnementales » dans certains secteurs fortement exposés à la concurrence. Pour les pays émergents, elle permettra de répondre à des enjeux qui se situent tant sur le terrain du changement climatique que sur celui de la sécurité énergétique.

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