Les Dossiers de Global-Chance.org

FUKUSHIMA : RÉACTIONS EN CHAÎNE Tribunes, analyses, interviews, etc. : les réactions des membres de Global Chance face à la catastrophe nucléaire de Fukushima.

, par   Webmestre Global Chance

Cinq ans après le début des accidents en série à la centrale nucléaire de Fukushima, la situation est loin d’être stabilisée et les conséquences radioactives sont déjà telles que la catastrophe en cours a été classée par les autorités japonaises au même niveau que celle de Tchernobyl... Toutefois, pour les jusqu’au-boutistes du nucléaire, Fukushima, quelles qu’en puissent être les conséquences sur la nature et sur les êtres humains, ne remet pas en question la pertinence technologique et industrielle de l’option électronucléaire : sans le séisme et le tsunami qu’il a provoqué, cette catastrophe n’aurait-elle pas été évitée ? Reste que la séquence de dysfonctionnements propres à la centrale qui s’est produite à Fukushima peut tout à fait se reproduire dans d’autres pays, y compris bien entendu en France, qui a frôlé l’accident grave à plusieurs reprises. C’est donc bien l’option électronucléaire en tant que telle dont la légitimité tout comme la pertinence sont in fine remises en cause par le drame de Fukushima.

Dossier publié en ligne le 14 avril 2011
Dernières mises à jour :
12/03/2015 : déjà 4 ans... Fukushima : des défis insurmontables (David Boilley / ACRO)
11/03/2016 : déjà 5 ans... Daremomienai Nioimonai (Rankin Taxi and Dub Ainu Band - clip vidéo) & L’impact sanitaire de la catastrophe de Fukushima (David Boilley / ACRO)


Préambule

Les Dossiers de Global-Chance.org sont autant de « structurations thématiques évolutives » des publications disponibles en ligne sur le site de Global Chance.
• Une fois en ligne, ces pages ont vocation à être complétées par d’autres publications de l’association et de ses membres, mais aussi à être améliorées dans leur conception même.
• Chacune d’elle regroupe autour d’une des problématiques abordées par Global Chance et ses membres une sélection structurée des références internes pertinentes.
• La plupart de ces références sont affichées dans un léger encadré dont le survol entraîne l’affichage d’une présentation résumée de la page ou du document concerné.
Les Dossiers de Global-Chance.org sont, comme leur nom l’indique, l’œuvre de la rédaction du site, qui espère ainsi y faciliter votre navigation.


Daremomienai Nioimonai
Rankin Taxi and Dub Ainu Band, Japon, 2011, durée 4’28

« Radiation is strong, radiation is powerful, it doesn’t discriminate, and you can’t beat it
Radiation is scary, radiation is dangerous, you can’t see it or smell it, and you can’t run from it
 »


Sommaire

1. Fukushima, 11 mars 2011
2. Penser et agir dans l’horizon de la catastrophe
3. Publications de membres de Global Chance
4. Fukushima : des défis insurmontables (mars 2015)
5. L’impact sanitaire de la catastrophe de Fukushima (juin 2015)
6. Les autres Dossiers de Global-Chance.org


1. FUKUSHIMA, 11 MARS 2011

Châteaux d’antan
Sable à l’état d’amas
Cœurs ténébreux
 
Soleil levant
Neige sur Fukushima
Des pleurs et du feu
 
Y.S. - mars 2011

Fukushima, chronique d’un désastre
Que s’est-il passé, le 11 mars 2011, dans la salle des commandes de la centrale de Fukushima ? Quelle est la chronologie exacte de la série de graves dysfonctionnements qui conduisit à la fusion du cœur des réacteurs et au désastre subséquent ?
Documentaire de Steve Burns, Akio Suzuki et Akihiko Nakai, NHK, Japon, 2012, durée 47 mn

Sur Dailymotion

Sur Youtube

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2. PENSER ET AGIR DANS L’HORIZON DE LA CATASTROPHE

« Tant que les catastrophes que nous produisons ne pénétreront pas notre imagination – tant qu’elles nous apparaîtront comme des événements extraordinaires, ponctuels, et non comme le prolongement et l’expression de processus déjà en cours –, il nous sera impossible d’agir pour les prévenir. »

Jérôme Vidal et Charlotte Nordmann [1]

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3. PUBLICATIONS DE MEMBRES DE GLOBAL CHANCE

(par ordre chronologique de parution / encadré = résumé au survol)

La France à l’abri d’un accident japonais ?
Benjamin Dessus et Bernard Laponche, Mediapart, 13 mars 2011

Nucléaire : reconnaissez l’erreur
Hélène Gassin, Jean-Philippe Magnen et Matthieu Orphelin, Mediapart, 13 mars 2011

Nucléaire : « en 1999, la France est passée très près d’une catastrophe »
Bernard Laponche, L’Expansion, 14 mars 2011

La sûreté nucléaire : une exception française ?
Benjamin Dessus, Les Échos, 18 mars 2011

« Le nucléaire assure l’indépendance énergétique de la France » : vraiment ?
Hélène Gassin et Arnaud Gossement, ecolosphere.net, 23 mars 2011

Nucléaire : le moyen le plus dangereux pour faire bouillir de l’eau
Bernard Laponche, Libération, 24 mars 2011

« Fukushima remet en cause l’approche occidentale de la sûreté nucléaire »
Yves Marignac, Touteleurope.eu, 30 mars 2011

Faut-il suspendre les travaux de construction de l’EPR de Flamanville ?
Yves Marignac (interview), La Croix, 31 mars 2011

« Fukushima remet en cause le choix du nucléaire »
Bernard Laponche (interview), Sciences et avenir, n°770, avril 2011

Le nucléaire n’est pas qu’une affaire d’experts
Pierre Radanne, Libération, 1er avril 2011

À quand la transition énergétique ?
Bernard Laponche, Libération, 8 avril 2011

Le nucléaire, une technologie du passé sans avenir
Bernard Laponche, La Tribune, 26 avril 2011

Des mots pour le dire
Benjamin Dessus, Politis, n°1150, 28 avril 2011

La démocratie face au risque
Claire Weill et Claude Henry, in « L’état de la Terre 2011 », Alternatives Internationales, hors-série, mai 2011

« Il y a une forte probabilité d’un accident nucléaire majeur en Europe »
Bernard Laponche (interview), Télérama, n°3205, 15 juin 2011

L’EPR présente un potentiel de danger considérablement augmenté
Bernard Laponche (interview), Actu-Environnement, vendredi 16 décembre 2011

Fukushima : « On a fait semblant de découvrir les dangers nucléaires »
Bernard Laponche (interview), Rue89, dimanche 8 janvier 2012

Prolonger le parc nucléaire : des risques inacceptables
Benjamin Dessus et Bernard Laponche, communiqué, dimanche 19 février 2012

Sûreté nucléaire en France post-Fukushima
Analyse critique des évaluations complémentaires de sûreté (ECS) menées sur les installations nucléaires françaises après Fukushima
Arjun Makhijani et Yves Marignac, Rapport d’expertise IEER / WISE-Paris, lundi 20 février 2012

« Les exploitants français n’ont pas tiré les leçons de Fukushima »
Yves Marignac (interview), Le Figaro, lundi 20 février 2012

Nucléaire : « Chacun sait qu’il y a des risques d’accidents »
Yves Marignac (interview), L’Express, lundi 20 février 2012

« Fukushima a déclenché une prise de conscience collective »
Pierre Cornut (interview), Le Dauphiné Libéré, jeudi 23 février 2012

Fukushima : un an après, les leçons de la catastrophe
Thierry Charles et Bernard Laponche (entretien), Radio France Internationale, émission « C’est pas du vent », dimanche 11 mars 2012

Un an après Fukushima, prolonger le nucléaire en France est une bombe à retardement
Yves Marignac, Le Plus du NouvelObs.com, lundi 12 mars 2012

Après Fukushima, état des lieux du nucléaire dans le monde
Emmanuel Guérin et Andreas Rüdinger, in « Regards sur la Terre 2012 – Développement, alimentation, environnement : changer l’agriculture ? », Éd. Armand Colin, avril 2012, pp. 88-92

Accident nucléaire : l’inacceptable pari
Bernard Laponche, in « Atomes crochus : argent, pouvoir et nucléaire », Réseau Sortir du Nucléaire, juillet 2012

De la responsabilité politique de la sûreté nucléaire
Bernard Laponche, Le Cercle - Les Échos, mercredi 10 octobre 2012

Sécurité nucléaire : jusqu’à maintenant, le facteur chance a été favorable
Bernard Laponche, Le Cercle - Les Échos, lundi 26 novembre 2012

Évolution de la consommation d’énergie au Japon après Fukushima, 2010-2012
Bernard Laponche, Note de travail, mercredi 14 décembre 2013, 16 pages

« Associées au gaz, les EnR peuvent permettre au Japon de se passer définitivement de nucléaire »
Bernard Laponche (interview), Actu-Environnement.com, lundi 13 janvier 2014

L’échéance des 40 ans pour le parc nucléaire français
Processus de décision, options de renforcement et coûts associés à une éventuelle prolongation d’exploitation au delà de 40 ans des réacteurs d’EDF
Yves Marignac, Wise Paris, samedi 22 février 2014, 171 pages

L’énergie au Japon en suite à Fukushima 2010-2013 [19 pages, fichier pdf, 1.7 Mo]
Bernard Laponche (Global Chance), in Autour de la transition énergétique : questions et débats d’actualité (suite), Les Cahiers de Global Chance, n°36, novembre 2014, pp. 47-65

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4. FUKUSHIMA : DES DÉFIS INSURMONTABLES (extraits)

Article intégral

Fukushima : des défis insurmontables
David Boilley, président de l’Association pour le Contrôle de la Radioactivité de l’Ouest (ACRO)
Site « L’ACROnique de Fukushima », jeudi 5 mars 2015


Extraits

L’été 2013 avait été marqué par une suite de scandales sur les fuites d’eau contaminée qui ont secoué le Japon, avec un fort retentissement médiatique international. Le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, a pris le dossier en main et a déclaré devant le Comité olympique, où il défendait la candidature de Tokyo, que la situation était « sous contrôle » et que la pollution radioactive était bloquée dans le port devant la centrale. Plus tard, devant le Parlement, il précisera que « les effets de la radioactivité » sont bloqués dans le port, sans préciser ce qu’il entendait par « effets ». Plus de 18 mois plus tard, force est de constater que la situation n’est pas sous contrôle et que l’eau contaminée reste le principal cauchemar de Tepco.

La bataille de l’eau contaminée

Avant la catastrophe nucléaire, Tepco pompait, chaque jour, environ 1 000 m3 d’eau souterraine pour rabattre la nappe phréatique et éviter les infiltrations dans les sous-sols des réacteurs nucléaires. Ce pompage s’est arrêté avec la catastrophe et environ 400 m3 d’eau souterraine y pénètrent chaque jour et se mélangent à l’eau de refroidissement fortement contaminée. Cette eau est stockée et Tepco doit ajouter une cuve tous les deux jours. Il y a plus d’un millier de cuves sur le site de la centrale.

Inversement, de l’eau contaminée passe des sous-sols vers la nappe phréatique avant de rejoindre l’océan. Les fuites en mer, estimées à la louche à 300 m3 par jour, continuent. Tepco s’est engagée dans une bataille pour « contrôler » la situation où elle enregistre peu de victoires.

[...]

La menace des piscines de combustible

Les piscines de combustible usé ont inquiété au début de la catastrophe nucléaire car elles ne sont pas protégées par l’enceinte de confinement des réacteurs. Si une secousse sismique ou une explosion provoquait une fissure et qu’il n’était plus possible de refroidir le combustible, il aurait fondu et dégagé une énorme quantité de radioéléments. La première semaine, le Premier ministre japonais avait sur son bureau le scénario du pire qui consistait en la fusion des combustibles de la piscine n°4, la plus chargée. Une estimation rapide avait montré qu’il aurait alors fallu évacuer jusqu’à environ 250 km de la centrale et donc probablement une partie de l’agglomération de Tokyo. Le renforcement de la structure de soutènement de la piscine n°4 avait été une priorité dans les premiers mois.

Tepco a fini de vider cette piscine le 20 décembre dernier. C’est une belle prouesse. Les combustibles usés sont dans la piscine commune de la centrale de Fukushima-Daiichi, qui est au niveau du sol. Les combustibles neufs sont dans la piscine du réacteur n°6.

Pour cela, la compagnie a dû démanteler toute la partie haute du bâtiment réacteur et reconstruire une structure neuve par-dessus le tout. Le réacteur n°4, dont le cœur était entièrement déchargé en mars 2011, ne constitue donc plus une menace et son démantèlement se fera plus tard. Réduire la menace des autres réacteurs est la priorité.

[...]

Des rejets dissimulés

[...]

Tepco a fini par reconnaître que le 19 août 2013, les travaux de démantèlement sur le réacteur n°3 ont entraîné un rejet radioactif aérien de 4 térabecquerels (4 000 milliards de becquerels), ce qui est 10 000 fois plus que les rejets habituels. Rien sur les autres pics. Ce chiffre sera revu à la baisse des mois plus tard. Et il faudra attendre le 31 décembre 2014 pour découvrir le pot aux roses : contrairement au réacteur n°4, Tepco a négligé d’asperger une résine pour fixer les poussières avant de démanteler. Et quand cette résine, généralement utilisée pour fixer les poussières d’amiante, était aspergée, la dilution du produit était trop forte. Pour le fabricant, c’est comme avoir aspergé de l’eau. Suite aux problèmes, Tepco a repris les procédures normales à partir d’octobre 2013, sans rien dire à personne. Pas vu pas pris. Les mauvaises pratiques auront duré presque un an ! La compagnie n’a pas été punie, mais s’est excusée pour l’inquiétude provoquée.

Cette affaire a entraîné un « glissement du calendrier » des travaux sur le réacteur n°1. Il est donc difficile de savoir quand les autres piscines seront vidées. Au-delà des piscines, il y a le combustible fondu qui a percé la cuve des réacteurs et qu’il faut continuellement refroidir en l’arrosant. Tepco ne sait pas où il est exactement. La réduction de la menace que représentent les réacteurs accidentés va prendre des décennies. Après, la compagnie pourra envisager le démantèlement. Se pose aussi le problème des déchets radioactifs pour lesquels le Japon n’a aucune solution à proposer.

[...]

Le retour des populations

Il y a encore officiellement presque 120 000 personnes évacuées à cause de la pollution radioactive. L’indemnisation coûte cher aux autorités qui avancent l’argent à Tepco. Elles rêvent donc d’une catastrophe réversible avec un retour des populations. L’ordre d’évacuer a été levé dans deux districts et l’indemnisation se tarira un an plus tard.

Le gouvernement a divisé la zone évacuée en trois sous-zones en fonction du débit de dose. Il prévoit un retour rapide dans celle où l’exposition est inférieure à 20 millisieverts par an (mSv/an). Cela correspond à la limite fixée pour l’évacuation en 2011. A l’époque, le Japon s’était vanté d’avoir choisi la valeur la plus basse des recommandations internationales. Mais la phase d’urgence est terminée depuis longtemps. Il est alors recommandé de fixer des niveaux de référence dans la partie basse de l’intervalle de 1 à 20 mSv/an.

Le Japon est en train de comprendre que la transition entre la situation d’urgence et la gestion à long terme des territoires contaminés est complexe. Comment passer d’un intervalle d’exposition maximale autorisée situé entre 20 et 100 mSv à la partie basse de l’intervalle de 1 à 20 mSv ? Les radioéléments comme le césium décroissent lentement. Le débit de dose moyen n’a diminué que de 40 % en moyenne la première année au Japon et les travaux de décontamination se sont révélés très décevants.

[...]

Les autorités se doivent de laisser le choix aux populations quant à leur retour, sans discrimination, et les aider à refaire leur vie, quel que soit le lieu de résidence choisi. Au-delà du rétablissement de conditions de vie digne, se pose, à plus long terme, le problème du devenir des territoires et des immenses volumes de déchets radioactifs.

Les déchets radioactifs

Que ce soit en territoires évacués ou en zone contaminée, les déchets radioactifs issus des travaux de décontamination s’accumulent. A Fukushima, il devrait y en avoir 30 millions de mètres cubes (m3). Les autorités veulent les entreposer sur un site de 16 km2 qui entoure la centrale de Fukushima Daiichi dans les communes d’Okuma et Futaba. Pour vaincre la réticence des habitants, les autorités se sont engagées, par la loi, à reprendre ces déchets au bout de trente ans pour les stocker définitivement en dehors de la province de Fukushima. Qui peut croire qu’il sera possible de trouver un site et de transporter à nouveau 30 millions de mètres cubes ? Le nombre de voyages en camion pour apporter ces déchets se compte aussi en millions. Si les autorités locales ont donné leur accord, les propriétaires des terrains refusent de vendre ou même de louer. Le processus est bloqué. Un sondage effectué en avril 2014 a montré que 82,7 % des habitants de Fukushima ne croient pas à cette fable des trente ans. Le gouvernement n’a donné aucune piste sur la façon dont il compte s’y prendre.

[...]

La catastrophe au quotidien

Au-delà de ces défis insurmontables, tout le parc nucléaire japonais est à l’arrêt complet depuis septembre 2013. Seuls quatre réacteurs ont vu leur dossier de sûreté validé et il n’y aura probablement pas de redémarrage avant l’été 2015. D’un autre côté, cinq réacteurs âgés devraient être officiellement arrêtés définitivement. Ce n’est qu’un début. Dans ce contexte, le gouvernement peine à définir sa politique énergétique, même s’il s’est engagé à rendre sa copie avant la Conférence sur le climat de Paris.

Mais ce sont surtout les populations qui souffrent. Il y a encore 120 000 évacués de la catastrophe nucléaire qui ne savent de quoi leur avenir sera fait. Beaucoup vivent encore dans des préfabriqués peu confortables. Les familles sont parfois éclatées. Que faire quand les indemnisations s’arrêteront ? Dans les territoires contaminés, les enfants ne jouent plus dehors.

Et il y a les cancers de la thyroïde qui sont source d’inquiétude. [...]

[...]

Par ailleurs, sur les 75 000 enfants ayant subi une deuxième échographie de la thyroïde, 611 sont classés « B » et vont subir des examens complémentaires. Parmi eux, 441, ou 72,2 %, avaient été classés « A » lors de la première campagne. Le nombre de cas de cancer pourrait malheureusement augmenter encore… L’inquiétude des populations est donc sans fin.

La catastrophe ne fait que commencer

Force est de constater que la catastrophe ne fait que commencer. Les défis auxquels fait face le pays sont immenses. Même en temps normal, il n’est pas simple de démanteler une installation nucléaire ni de trouver une solution pour les déchets. Les fuites d’eau contaminée sont difficiles à colmater dans un environnement si hostile. Les problèmes sont exacerbés après la catastrophe et des populations souffrent. Mais ni Tepco ni le gouvernement n’ont changé. Les excuses répétées n’y changent rien. Selon un sondage récent, 71 % des habitants de Fukushima ne sont pas satisfaits par la gestion de la crise par le gouvernement et Tepco.

La compagnie fait preuve de négligences si elle n’est pas contrôlée strictement. Les quelques exemples présentés ici affectaient l’extérieur du site de la centrale accidentée et sont donc connus. Il y a beaucoup d’autres problèmes qui restent internes. Des ouvriers ont, par exemple, actionné le mauvais interrupteur et mis en marche une pompe de secours qui a déversé de l’eau contaminée dans un sous-sol. Il leur a fallu plus d’un mois pour se rendre compte de la bourde. Deux ouvriers sont décédés en janvier et la compagnie a dû revoir toute la sécurité des travailleurs. Dans de telles conditions, comment peut-elle prétendre pouvoir reprendre l’exploitation de sa centrale nucléaire de Kashiwazaki-Kariwa ?

Quant au gouvernement, il est toujours dans sa stratégie « décider, annoncer, défendre » qui laisse peu de place à la concertation alors qu’il lui faudrait être plus à l’écoute des populations et inventer de nouvelles formes de démocratie plus participatives. Car les initiatives citoyennes sont nombreuses et ne demandent qu’à être reconnues et encouragées. Dans les années à venir, de nouvelles difficultés vont surgir avec la fin de l’indemnisation des victimes sans que les problèmes ne soient réglés.

David Boilley, président de l’ACRO
(Association pour le Contrôle de la Radioactivité de l’Ouest)

(retour à la tête de chapitre 4)

(haut de page) (sommaire du dossier)

5. L’IMPACT SANITAIRE DE LA CATASTROPHE DE FUKUSHIMA

Article intégral

L’impact sanitaire de la catastrophe de Fukushima [9 pages, 220 ko, fichier pdf]
David Boilley (Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest, ACRO), in Imaginer l’inimaginable ou cultiver notre jardin ?, Les Cahiers de Global Chance, n°37, juin 2015, pp. 63-71


Extraits

[nota bene : les passages sélectionnés ici ne reprennent pas les notes de bas de page présentes dans l’article originel - en téléchargement ci-dessus]

Les promoteurs de l’énergie nucléaire mettent souvent en avant que la catastrophe de Fukushima n’a tué personne. Les plus scrupuleux, précisent que personne n’est décédée directement à cause des radiations. Mais plus de 100 000 personnes ont tout perdu à cause de ces radiations : lieu de vie, travail, lien social… L’évacuation d’urgence a aussi provoqué des décès directs et indirects. Les conditions de vie des réfugiés sont difficiles. et les familles qui vivent en territoire contaminé se font beaucoup de soucis.

Selon le rapport d’enquête parlementaire sur l’accident nucléaire au Japon, il y avait 850 patients dans les 7 hôpitaux et cliniques situés dans un rayon de 20 km autour de la centrale de Fukushima daï-ichi, dont 400 sérieusement malades avec un besoin de soins réguliers ou alités. Tous ont été évacués en urgence. À l’hôpital de Futaba cela a été particulièrement dramatique.

Les victimes de l’évacuation

La commission d’enquête parlementaire explique que « de nombreux habitants dans les environs de l’usine ont reçu l’ordre d’évacuer sans pour autant recevoir d’information précise. Ignorant la gravité de l’accident, ils pensaient devoir s’éloigner pendant quelques jours seulement et ne sont donc partis qu’avec le strict nécessaire. Les ordres d’évacuation ont été maintes fois révisés, les zones d’évacuation ont ainsi été élargies, à l’origine d’un rayon de 3 km, puis à 10 km et plus tard, à 20 km, en 24 heures. Chaque fois que la zone d’évacuation s’élargissait, les résidents étaient invités à déménager à nouveau. Certaines personnes évacuées ne savaient pas qu’elles avaient été déplacées vers des sites avec des niveaux élevés de radiations. Les hôpitaux et les maisons de soins situés dans la zone des 20 km ont eu beaucoup de difficultés pour assurer le transport des malades et pour trouver un accueil ; 60 patients sont morts en mars, du fait de complications liées à l’évacuation. »

Les hôpitaux et maisons de retraite situés à moins de 20 km de la centrale de Fukushima daï-ichi ont dû improviser pour évacuer leurs patients et pensionnaires. Le personnel ne savait pas qu’il en avait la charge en cas d’accident nucléaire, surtout quand la structure était éloignée de la centrale. Une évacuation jusqu’à 20 km n’avait jamais été envisagée. Un seul hôpital avait un plan qui s’est révélé inutile car irréaliste. Pour quatre centres, l’évacuation a été beaucoup plus tardive que celle des habitants des environs. Le personnel médical a rapidement manqué. Les premiers décès sont liés à l’utilisation de moyens de transport inappropriés : des bus sont venus chercher les patients pour un trajet qui a duré des heures. Dans le cas de l’hôpital de Futaba, le trajet a fait 230 km et a duré plus de 10 heures. Et les centres d’accueil n’étaient pas équipés pour accueillir des réfugiés ayant besoin de soins lourds.

Une fois dans les centres d’accueil d’urgence, les personnes les plus fragiles ont vu leur condition se détériorer. [...] il y a eu 2,4 fois plus de décès chez les personnes âgées lors des 8 mois qui ont suivi la triple catastrophe que durant la même période en 2010. [...]

Au final, à la date du 4 mars 2015, il y a officiellement 1 867 décès liés directement ou indirectement à l’évacuation à Fukushima pour lesquels les familles ont reçu une indemnisation financière. Ce chiffre inclut les décès directs déjà mentionnés, ceux liés au manque de soins, les suicides… C’est plus que les 1 603 décès directs liés aux séismes et tsunami à Fukushima. [...]

Une contamination durable de l’environnement

L’accident du 11 mars 2011 a contaminé de vastes territoires pour des décennies. Il a fallu un mois aux autorités pour admettre qu’il s’agissait d’un accident de niveau 7 sur l’échelle INES et deux mois à TEPCo pour admettre que c’était dû à la fusion complète de trois cœurs nucléaires. Selon les estimations, la quantité de césium rejeté dans l’atmosphère varie entre 10 et 40 % de ce qui a été émis lors de l’accident de Tchernobyl. En revanche, 80 % est allé vers l’océan. Les autorités ont ordonné l’évacuation de toute la population dans un rayon de 20 km. Elles avaient confiné les habitants entre 20 et 30 km, puis leur ont conseillé d’évacuer. Comme le césium est retombé bien au-delà de ces distances, elles ont ordonné l’évacuation des territoires les plus contaminés en avril 2011, jusqu’à 45 km de la centrale. Puis, à proximité de plusieurs points chauds, il a été conseillé de partir. De tels points chauds ont été découverts jusqu’en septembre 2011.

De nombreuses cartes de la contamination sont disponibles en ligne. Il y a celles des autorités faites par hélicoptère regroupées sur un site internet. Il y a aussi celles basées sur des prélèvements effectués par un consortium d’universités et la Japan Atomic Energy Agency, l’équivalent du CEA français. Cela s’est traduit par la carte d’évacuation ci-dessous. La zone la plus contaminée, où l’exposition externe peut dépasser 50 mSv/an, est qualifiée de « zone de retour difficile » par les autorités. Les zones où il n’y aura pas de retour n’ont été clairement établies pour le moment, sauf pour le site de stockage des déchets radioactifs prévu sur 16 km2 tout autour de la centrale de Fukushima daï-ichi. Et même là, les autorités ont promis de reprendre les 25 millions de m3 de déchets au bout de 30 ans pour les stocker définitivement en dehors de la province de Fukushima. Personne n’y croit. La commission d’enquête parlementaire explique qu’« total de 146 520 habitants ont été évacués suite aux ordres du gouvernement ». Il faut encore ajouter les « évacués volontaires » qui sont partis d’eux-mêmes car ils n’acceptaient pas la limite d’évacuation fixée par les autorités, considérée comme trop élevée. Ils étaient environ 60 000 en octobre 2012.

L’IRSN a estimé que si la limite d’évacuation avait été divisée par deux comme il l’aurait préconisé en France, c’est-à-dire si elle était fixée à 10 mSv/an au lieu de 20 mSv/an, il aurait fallu évacuer 70 000 personnes supplémentaires et une partie de la capitale régionale située à plus de 50 km. La surface où l’exposition externe dépassait 1 mSv/an en 2011 représente environ 13 000 km2.

À proximité de la centrale, la pollution des sols est très élevée et il n’y aura pas de retour possible avant longtemps. L’agriculture est encore interdite dans les zones évacuées, sauf à titre expérimental et plusieurs aliments ne peuvent être vendus sur le marché ailleurs. C’est particulièrement le cas des plantes sauvages et du gibier. L’accident a aussi entraîné le plus fort rejet radioactif en mer. Il y a un facteur 20 entre l’estimation de TEPCo et celle de l’IRSN, plus élevée. Quelle que soit l’estimation, ce rejet à lui seul aurait entraîné le classement au niveau 5 de l’accident sur l’échelle INES. Mais, comme la centrale fait face à l’immense Océan Pacifique avec deux forts courants marins, le Kuroshio et le Oyashio, il y a eu une dilution rapide. Actuellement, au large, la contamination de l’eau de mer est très faible. En revanche, les sédiments marins le long du littoral sont fortement marqués et la faune qui en dépend au-delà, limitée à une cinquantaine d’espèces contre 200 environ avant la catastrophe. Les sédiments de la Baie de Tôkyô, presque fermée, ont aussi été significativement contaminés par le lessivage des sols.

C’est sur le site de la centrale qu’il y a les plus fortes contaminations et les rejets dans l’environnement continuent, que ce soit dans l’atmosphère ou dans la mer. Certains sont dus à la négligence, comme ces poussières rejetées lors du démantèlement de la partie haute du réacteur n° 3 faute d’avoir aspergé des résines fixatrices. TEPCo est aussi à la peine avec l’eau contaminée qu’elle n’arrive pas à confiner. Les nappes phréatiques sur le site sont fortement contaminées et s’écoulent vers l’océan.

Des déplacés qui souffrent encore

La catastrophe nucléaire s’installe dans la durée. En 2015, il y a encore officiellement 120 000 personnes évacuées. Parmi elles, 79 000 ont été forcées à partir et les autres sont des déplacés « volontaires » qui n’acceptent pas de vivre en territoire contaminé. 46 000 déplacés vivent en dehors de Fukushima, dans toutes les provinces du Japon. De plus en plus de personnes déplacées refont leur vie là où elles sont maintenant. D’autres ne savent pas quel sera leur avenir. Les liens sociaux avec leur voisinage ou leurs amis ont parfois été rompus. Même à l’intérieur des familles. [...]

Selon une étude commandée par les autorités régionales et reprise par les médias japonais en avril 2014, 50 % des familles évacuées sont encore séparées et 67,5 % ont un membre qui souffre de stress physique et mental. [...] Pour 15,6 % des familles, l’éclatement familial est sur plus de 3 lieux. [...]

Les familles qui ne sont pas parties et vivent en territoire contaminé s’inquiètent aussi pour leur avenir et celui de leurs enfants. En effet, la limite d’évacuation a été fixée à 20 mSv/an, ce qui correspond à la limite de dose des travailleurs en France. Cette même limite est appliquée pour le retour des populations, même pour les nouveaux nés. Le gouvernement s’était engagé à décontaminer toutes les zones où l’exposition externe dépasse le millisievert par an, qui est la limite annuelle à ne pas dépasser en temps normal. Il est supposé que les habitants passent 8 heures par jour à l’extérieur et 16 heures à l’intérieur où l’exposition externe est réduite de 60 %. Mais les travaux de décontamination ne donnent pas les résultats attendus. Les autorités veulent donc changer la façon d’évaluer les doses. [...]

Le suivi sanitaire

Face aux inquiétudes pour la santé, les autorités régionales ont mandaté l’université médicale de Fukushima pour faire un suivi sanitaire de la population et des enfants en particulier. [...]

L’université a d’abord envoyé un questionnaire aux deux millions d’habitants de Fukushima pour reconstituer la dose prise lors des rejets massifs qui ont duré plus d’une dizaine de jours. Le taux de retour était de 23 % au 31 octobre 2012, ce qui est peu. Pour beaucoup, il y a une défiance envers les autorités. Et puis, les habitants veulent être protégés, pas servir de cobaye. Pour les personnes évacuées, il y a de nombreuses autres préoccupations. [...]

La dernière publication de résultats, qui date du 12 février 2015, met en avant que le taux moyen d’anomalies congénitales et autres anomalies chez les nouveaux nés de Fukushima entre 2011 et 2013 est d’un peu plus que 2 %, ce qui est dans l’intervalle de variation de la moyenne nationale. [...]

Ce sont les cancers de la thyroïde qui attirent toute l’attention et les résultats sont très controversés. [...]

Des cancers de la thyroïde plus nombreux qu’attendu

Les derniers résultats publiés à la date le 12 février 2015 montrent que des échographies de la glande thyroïde ont été réalisées chez 368 000 jeunes Japonais de la région de Fukushima. [...] Le taux d’occurrences observé est beaucoup plus élevé à Fukushima qu’ailleurs au Japon ou dans d’autres pays. [...]

Les autorités médicales affirment cependant que ce n’est pas lié à la catastrophe nucléaire, mais au dépistage systématique. [...]

Une faible contamination interne

La situation est très différente entre le Japon et la Biélorussie ou l’Ukraine. Au Japon, les populations les plus exposées ont été évacuées plus rapidement qu’en URSS. Par ailleurs, le contrôle de la nourriture a été assez strict dès le début, même si l’improvisation a conduit à la mise sur le marché d’aliments dépassant les normes dans les premiers mois de la catastrophe. En conséquence, la contamination interne est faible. [...]

Le problème majeur demeure l’exposition externe et la limite fixée pour le retour des habitants. La CIPR qualifie de « situation existante » la situation post-accidentelle à long terme. Dans sa publication 109, elle explique qu’il n’y a pas « de frontières temporelles ou géographiques prédéfinies qui délimitent la transition d’une exposition à une situation d’urgence à une situation existante. En général, les niveaux de référence utilisés lors des situations d’urgence ne sont pas acceptables comme références à long terme car les niveaux d’exposition correspondant ne sont viables ni socialement, ni politiquement. Ainsi, les gouvernements et/ou les autorités compétentes doivent, à un certain moment, définir des niveaux de référence pour gérer l’exposition aux situations existantes, typiquement dans la partie basse de l’intervalle de 1 à 20 mSv/an recommandé par la Commission. »

Mais comment passer d’un intervalle d’exposition maximale autorisée situé entre 20 et 100 mSv en situation d’urgence à la partie basse de l’intervalle de 1 à 20 mSv pour la « situation existante » ? Les radioéléments comme le césium décroissent lentement. Le débit de dose moyen n’a diminué que de 40 % en moyenne la première année au Japon et les travaux de décontamination se sont révélés très décevants.

Dans sa publication 111, la CIPR n’est pas très explicite : « les autorités nationales peuvent prendre en compte les circonstances et aussi profiter de l’agenda du programme de réhabilitation pour adopter des valeurs de référence intermédiaires qui conduisent à une amélioration progressive de la situation ».

Pour le moment, le Japon a adopté un retour à une limite de 1 mSv/an, mais sans aucun calendrier. La politique de retour des populations actuelle est toujours basée sur la limite annuelle de 20 mSv/an choisie au moment de l’évacuation. De nombreuses personnes ne souhaitent pas rentrer, surtout quand il y a des enfants en bas âge. Mais si le Japon adoptait une limite de retour plus faible, les populations non évacuées ne comprendraient pas et se sentiraient abandonnées.

Anand Grover, Rapporteur spécial du Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme de l’ONU précise que « les recommandations de la CIPR sont basées sur le principe d’optimisation et de justification, selon lesquelles toutes les actions du gouvernement doivent maximiser les bénéfices sur le détriment. Une telle analyse risque-bénéfice n’est pas en accord avec le cadre du droit à la santé, parce qu’elle donne la priorité aux intérêts collectifs sur les droits individuels. Le droit à la santé impose que chaque individu doit être protégé. De plus, de telles décisions, qui ont un impact à long terme sur la santé physique et mentale des populations, doivent être prises avec leur participation active, directe et effective. » Et d’ajouter que « la possibilité d’effets néfastes pour la santé existe avec les faibles doses de radiation. Cela implique de recommander aux personnes évacuées de ne retourner que quand la dose liée à l’irradiation a été réduite autant que possible à des niveaux inférieurs à 1 mSv par an. En attendant, le gouvernement doit continuer à fournir un soutien financier et une indemnisation à toutes les personnes évacuées de façon à leur permettre de décider par elles-mêmes de rentrer ou de rester évacuées. »

[...]

Face à cette situation complexe, les autorités pensent avoir trouvé la parade : distribuer à chacun des « glassbadges », c’est-à-dire des dosimètres individuels, pour apprendre à vivre en territoire contaminé et limiter l’exposition en faisant attention. [...] À long terme, les doses prises par les populations s’accumulent et ne seront donc plus négligeables. Il est difficile, voire impossible d’en prévoir l’impact.

Du côté des travailleur

Selon les dernières statistiques publiées, qui datent du 31 janvier 2015, 41 170 personnes ont travaillé sur le site de la centrale de Fukushima daï-ichi. Dans les premiers mois, la limite de dose a été montée à 250 mSv. Officiellement, 6 personnes l’ont dépassée. Mais il n’y avait pas un dosimètre par personne durant les premières semaines car ils avaient été noyés par le tsunami. Seul le chef d’équipe en portait un et il n’a pas été forcément le plus exposé. Il a fallu un scandale médiatique pour que des dosimètres soient expédiés depuis d’autres centrales nucléaires. Ces chiffres officiels sont donc à prendre avec recul. Par ailleurs, la contamination interne a été contrôlée très tardivement et certains intervenants sont injoignables. [...]

En mars 2014, le ministère de la santé a révélé que TEPCO avait sous-estimé la contamination interne de 142 personnes en 2011. L’augmentation moyenne de la dose reçue est de 5,86 millisieverts. [...] Le gouvernement a vérifié l’exposition de 1 536 personnes sur les 7 529 qui sont intervenues en mars – avril 2011. Cela fait plus d’une personne sur 9 pour qui il y a eu sous-estimation ! En juillet 2013, le ministère de la santé avait déjà trouvé que les doses reçues par 642 personnes sur 1 300 avaient été sous-estimées.

Depuis le 16 décembre 2011, ce sont de nouveau les limites normales qui sont retenues : 100 mSv sur 5 ans (ou 20 mSv/an en moyenne sur 5 ans), sans dépasser 50 mSv/an. Depuis cette date, 174 travailleurs ont atteint cette limite et ne peuvent plus travailler dans le nucléaire tant que les 5 ans ne se sont pas écoulés. Sur les 14 000 travailleurs enregistrés actuellement, 2 081 ont déjà reçu une dose comprise entre 50 et 100 mSv. Ils sont généralement affectés à des tâches moins exposées pour pouvoir rester plus longtemps sur le site.

Mais avec le temps, ils vont être de plus en plus nombreux à atteindre les 100 mSv. D’autant plus que les travaux de démantèlement des parties les plus irradiantes n’ont pas encore commencé. Il y a la reprise des combustibles de la piscine du réacteur n° 3, par exemple, qui devrait bientôt commencer. Même si la grosse partie du travail se fera avec des engins télécommandés, il faudra que des hommes s’approchent par moment pour installer le matériel de démantèlement.

Là encore, certains chiffres doivent être pris avec recul. Il y a eu plusieurs scandales liés à des tricheries sur les doses. Les médias ont rapporté des pratiques douteuses : des dosimètres laissés dans la voiture ou déposés en un lieu moins irradiant. Des travailleurs avaient mis un cache en plomb autour de l’appareil. Plus de 90 % des intervenants sont des sous-traitants, avec parfois plusieurs niveaux de sous-traitance. Leur statut précaire favorise la triche. Suite à ces scandales, TEPCo a renforcé ses contrôles et la situation s’est améliorée.

Récemment, la Radiation Effects Research Foundation, qui a suivi les personnes exposées aux bombes de Hiroshima et de Nagasaki, a décidé de suivre une première cohorte de 2 000 travailleurs qui sont intervenus la première année à la centrale accidentée de Fukushima daï-ichi car ce sont eux qui ont pris les plus fortes doses. Elle en a contacté 5 466 à Fukushima, mais seulement 704 auraient accepté, ce qui est beaucoup moins que les 2 000 espérés. 299 courriers auraient été retournés car l’adresse était erronée. Sur les 1 071 qui ont répondu, 295 ont refusé d’y participer. Certains ont justifié leur décision car il n’y a pas de prise en charge alors qu’ils doivent travailler. D’autres se sont plaint de la diffi culté à accéder aux centres de soins où ils seront auscultés. La fondation veut aussi reconstituer les doses prises. À terme, elle espère suivre 20 000 travailleurs.

Actuellement, environ 7 000 personnes triment chaque jour sur le site de la centrale de Fukushima daï-ichi. Il y a déjà eu plusieurs décès et blessés graves suite à des accidents. Au-delà du gigantesque chantier de stabilisation des réacteurs accidentés destiné à réduire leur menace puis celui de leur démantèlement, il y a aussi un immense chantier de décontamination dans toutes les zones où l’exposition externe peut dépasser 1 mSv/an.

Les chantiers de décontamination dans les territoires évacués sont sous la responsabilité directe du gouvernement. Les travailleurs doivent porter un dosimètre et la dose enregistrée ne doit pas dépasser 50 mSv par an comme pour les travailleurs du nucléaire et 100 mSv sur 5 ans. [...] 11 058 personnes sont intervenues en 2011-2012. C’est à cette époque qu’il y a eu la plus forte dose enregistrée. [...] Ces statistiques, compilées par la Radiation Effects Association, qui dépend du gouvernement, donnent un nombre total de personnes inférieur aux chiffres avancés par le ministère de l’environnement en charge des travaux. Le ministère de la santé du Japon pense donc que cette association n’a pas réussi à enregistrer les doses de tout le monde.

Actuellement, 12 000 personnes par jour travaillent sur des chantiers de décontamination. Les travaux sont terminés dans quatre des onze communes évacuées. Selon l’inspection du travail de Fukushima, qui surveille les 1 152 compagnies engagées dans ces chantiers, il y a eu 800 violations du droit du travail enregistrées concernant la sécurité des travailleurs. Parfois, cela concerne l’absence de mesure du débit de dose ambiant avant les travaux ou le port de dosimètres. Il y a aussi eu plusieurs scandales médiatiques révélant de mauvaises pratiques allant jusqu’à l’emploi de SDF.

Conclusions

La catastrophe de Fukushima ne fait que commencer. Il est difficile de tirer un bilan sanitaire après seulement quatre années. Heureusement pour le pays, 80 % des rejets atmosphériques sont allés vers l’océan. Les surfaces contaminées sont limitées. Un accident similaire au milieu des terres aurait eu un impact beaucoup plus élevé.

Malgré cela, cette catastrophe a déjà fait de nombreuses victimes. Elle a aussi complètement déstabilisé toute une région avec des conséquences économiques et sociales à long terme qui se répercutent sur tout le pays.

David Boiley
Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest (ACRO)

=> L’ensemble de ces informations sont détaillées dans l’ACROnique de Fukushima, avec mise à jour quotidienne : http://fukushima.eu.org

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