États-Unis : tout à gagner à réduire le méthane

, par   Benjamin Dessus, Bernard Laponche

Dans la perspective de Copenhague, les États-Unis se sont déclarés prêts à réduire d’ici 2020 leurs émissions de 17%... par rapport à 2005 - soit 4% seulement par rapport à l’année de référence 1990. Même si des engagements plus ambitieux pourraient être pris pour 2050, « à l’échéance 2020-2030 le compte n’y est pas ». Toutefois, « il reste une marge de manœuvre à ces horizons, actuellement largement négligée » : les émissions de méthane des États-Unis. En effet, si le PRG du méthane à 100 ans est fixé à 21 (dans le cadre du Protocole de Kyoto), ce PRG à 20 ans est égal à 72. Dès lors, « toute action de réduction des émissions de méthane qui viendrait s’ajouter au programme proposé par les États-Unis, aurait donc, au delà de son rôle reconnu à long terme, une efficacité environ 4 fois plus importante aux horizons 2020-2030 qui font l’objet des préoccupations internationales. » Une action résolue sur leurs émissions de méthane permettrait donc aux États-Unis de contribuer significativement à la lutte contre les changements climatiques à court et moyen terme.

Benjamin Dessus et Bernard Laponche

Mediapart, vendredi 27 novembre 2009

Les États-Unis pourraient apporter une contribution importante dans la lutte contre les changements climatiques à moyen terme par une réduction de leurs émissions de méthane.


Les récents engagements chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines des États-Unis annoncés par le gouvernement américain (-17% par rapport à 2005, dont on peut supposer, en l’absence d’informations plus détaillées, qu’ils portent presque exclusivement sur les émissions de CO2) ont été accueillis en Europe avec un optimisme mitigé. Ils sont en effet à la fois indispensables pour permettre d’engager la négociation de Copenhague, mais chacun est conscient, y compris aux États-Unis, qu’ils restent très en deçà des engagements indispensables pour un pays qui concentre à lui tout seul environ 20% des émissions de la planète.

Le retard pris depuis 1990 dans la lutte contre le réchauffement (+16% entre 1990 et 2007 selon l’EPA, Environment Protection Agency) rend en effet très difficile pour ce pays une chute plus spectaculaire des émissions de CO2 à brève échéance (2020) que celle actuellement proposée. Ces émissions, majoritairement liées à la consommation d’énergies fossiles sont en effet directement liées à un mode de vie et des infrastructures (d’urbanisme, de transport et de production d’énergie) qui présentent des inerties importantes. D’où l’importance de compléter ces premiers engagements de perspectives à plus long terme.

Reste qu’à l’échéance 2020-2030 le compte n’y est pas.

Il reste une marge de manœuvre à ces horizons, actuellement largement négligée, et qui mérite pourtant qu’on s’y arrête. La focalisation des efforts sur le principal gaz à effet de serre qu’est le CO2 a en effet fait quelque peu oublier l’importance des autres gaz à effet de serre, en particulier du méthane.

En 2007 les émissions de méthane des États-Unis atteignaient 27 Mtonnes, en légère régression depuis 1990 (29 Mt) mais assez stables depuis le début des années 2000. Avec les conventions d’équivalence retenues à Kyoto de prise en compte d’un effet intégré de ces émissions à 100 ans (un « potentiel de réchauffement global » de 21 par unité de masse par rapport au CO2 sur la période 2007-2107) ces émissions comptent pour 585 Mtonnes d’équivalent CO2 dans le bilan d’émission des Etats-Unis en 2007, soit environ 8% du total de ces émissions.

Mais ce coefficient 21, valable pour l’horizon 2107, ne l’est plus à plus court terme. Le méthane se caractérise en effet à la fois par une efficacité radiative beaucoup plus élevée que celle du CO2 et un temps de résidence dans l’atmosphère beaucoup plus faible que celui du CO2. Son potentiel de réchauffement global à 10 ans (2020) atteint ainsi une valeur de 90 et à 20 ans (2030) de 72 (rapport 2007 de l’IPCC).

Toute action de réduction des émissions de méthane qui viendrait s’ajouter au programme proposé par les États-Unis, aurait donc, au delà de son rôle reconnu à long terme, une efficacité environ 4 fois plus importante aux horizons 2020-2030 qui font l’objet des préoccupations internationales.

L’analyse de l’origine des émissions de méthane des États-Unis montre que ce pays dispose de marges de manœuvre non négligeables pour agir à court terme dans ce domaine, avant 2020.

En effet, à côté des émissions liées à l’agriculture et à l’élevage qui comptent pour 33% environ du total, la plus grosse part de ces émissions provient des secteurs miniers (gaz pétrole et surtout charbon) ou de la gestion des déchets urbains et du traitement de l’eau : 7,5 Mt pour les émissions des décharges ménagères et le traitement de l’eau, 5 Mt pour le système de production et distribution du gaz naturel, 3 Mt pour les mines de charbon, 1 Mt pour le pétrole, etc. Dans ces différents domaines les possibilités d’actions efficaces, rapides, peu onéreuses, sont nombreuses.

C’est tout particulièrement le cas pour les décharges d’ordures ménagères dont les émissions occupent la seconde place au États-Unis, juste derrière la fermentation entérique des animaux d’élevage. Le volume de déchets mis en décharge augmente rapidement (298 millions de tonnes en 2007 contre 209 en 1990). Une partie des 12 Mt de CH4 émis est récupérée à des fins énergétiques ou torché, mais plus de 50% (6,35 Mt) restent encore émis dans l’atmosphère. Les émissions correspondantes par habitant de ces décharges (21 kg de méthane par habitant et par an pour 0,95 tonne/habitant/an de déchets) sont donc beaucoup plus importantes que dans un pays européen comme l’Allemagne par exemple (6,3 kg/hab/an de méthane pour 0,62 tonne/hab/an de déchets) qui a engagé depuis 20 ans une politique active dans ce domaine puisqu’elle a divisé par 3,5 les émissions de ses déchets depuis 1990.

Une division par deux des émissions des décharges est donc parfaitement envisageable avant 2020. Il en est de même pour le traitement de l’eau. De la même manière, une récupération plus systématique du méthane des mines en fonctionnement et des mines abandonnées, sur le modèle des opérations partielles aujourd’hui engagées aux États-Unis, permettrait de réduire les émissions de ce secteur de 1 Mt à court terme.

L’ensemble de ces mesures, sans même compter la méthanisation les fumiers et lisiers et la chasse systématique aux fuites des réseaux gaziers, devrait permettre une réduction supplémentaire d’émissions de CH4 d’au moins 5 millions de tonnes avant 2020 à des coûts économiques faibles du fait de la valorisation énergétique du méthane très souvent envisageable.

Cet effort supplémentaire sur le méthane aurait des conséquences bénéfiques sur le climat en 2020-2030 analogues à une réduction supplémentaire de l’ordre de 400 millions de tonnes de CO2. Quand on sait que la réduction de 17% des émissions de gaz à effet de serre envisagée aujourd’hui représente à peine un milliard de tonnes d’équivalent CO2, cette contribution à la lutte contre le changement climatique serait loin d’être négligeable et apporterait un complément de poids aux efforts indispensables des États-Unis pour la réduction des émissions de CO2.

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Voir également sur ce site notre dossier Effet de serre : n’oublions pas le méthane ! ainsi que nos publications les plus récentes sur le sujet :

Une médecine d’urgence pour le climat
Hervé Le Treut, Benjamin Dessus, Bernard Laponche et Michel Colombier, LesÉchos.fr/LeCercle, vendredi 11 décembre 2009

Méthane : du grain à moudre pour la lutte contre le réchauffement climatique
Benjamin Dessus, La ‘chaîne’ énergie de LExpansion.com, jeudi 3 décembre 2009

Le méthane : des risques sur le climat largement sous-estimés
Bernard Laponche, La ‘chaîne’ énergie de LExpansion.com, mardi 24 novembre 2009

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