Débat public CNDP #EPR2-Penly : déclaration de Bernard Laponche

, par   Global Chance

Global Chance

Global Chance, créé en 1992 à l’occasion du Sommet de Rio sur le climat, est une association d’experts de diverses disciplines qui, face aux menaces présentes et futures sur la vie sur notre planète, apportent leur contribution, notamment dans le domaine de l’énergie, à la construction d’une solidarité planétaire démocratique, respectueuse de toutes ses composantes et en harmonie avec la nature.

Bernard Laponche

Ingénieur de l’Ecole polytechnique, Docteur ès Sciences en physique des réacteurs nucléaires et docteur en économie de l’énergie. j’ai travaillé près de 20 ans au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) dont 12 au service de physique mathématique (SPM), à Saclay et enseigné la neutronique au Génie atomique, en particulier à pas mal de jeunes cadres d’EDF.

Qu’est-ce que l’EPR2 et peut-on faire autrement ?

L’EPR est une erreur stratégique

EPR signifie « Evolutionary Power Reactor  » (Réacteur de puissance évolutionnaire).

L’EPR et tous les réacteurs en fonctionnement du parc d’EDF, sont de la même filière des réacteurs à uranium enrichi et eau sous pression, construits par Framatome. En poursuivant dans cette filière et le même modèle, EDF s’est placé dans une situation signalée et redoutée par l’Autorité de sûreté nucléaire depuis son origine [1] : l’occurrence d’une situation incidentelle ou accidentelle, la « panne de mode commun  », touchant l’ensemble du parc, voire son arrêt d’urgence.

A propos de ces réacteurs, l’IRSN écrit [2] : «  Les phénomènes de base sont les mêmes pour les réacteurs à eau sous pression actuels ou en projet. Toutefois, dans le cas des centrales existantes, les accidents graves n’ont pas été considérés lors de leur conception. Les modifications envisageables de l’installation sont donc restreintes et les recherches menées dans ce cadre ont essentiellement pour objectif de trouver des moyens de limiter les conséquences d’un éventuel accident grave ».

L’accident grave est celui de Three Mile Island en 1979 avec fusion du cœur du réacteur mais pas destruction de l’enceinte de confinement et donc peu d’émissions radioactives dans l’environnement. L’accident majeur est celui de Fukushima en 2011 [3], avec destruction de l’enceinte de confinement et fortes projections de matières radioactives dans l’environnement.

L’EPR ne présente pas par conception de parade à la perte de refroidissement mais présente des dispositifs qui devraient permettre d’éviter l’accident majeur, notamment le récupérateur de corium.

Mais, cette vulnérabilité en cas de perte de refroidissement du fait, par conception, d’absence de parade à l’accident grave, aurait dû conduire à une nouvelle conception basée sur une sûreté passive, ne réclamant pas la disponibilité d’une alimentation électrique.

L’exposé de l’IRSN en deuxième partie de ce débat, concernant les réacteurs à eau sous pression de troisième génération autres que les EPR nous montre deux caractéristiques intéressantes des quatre réacteurs « concurrents » :

D’une part, seul le réacteur de Corée du Sud atteint le niveau de puissance électrique des quatre réacteurs français de 1500 MW du palier N4 , tandis que les trois autres sont au niveau 1100-1200 MW, contre 1650 MW pour EPR et EPR2

D’autre part, les types de système de sûreté sont « passifs » pour le réacteur de Westinghouse et « actifs et passifs » pour les trois autres, avec apport d’eau par gravitation en cas de perte d’électricité.

La course à la puissance, prétendument pour une réduction des coûts, est une particularité française qui pose problème en termes de sûreté. Quant à l’absence de système de sûreté passif, elle constitue un obstacle majeur à l’utilisation du qualificatif « réacteur du XXIème siècle » pour l’EPR et l’EPR2.

L’EPR de Flamanville n’a pas encore démarré. Le retour d’expérience de l’EPR finlandais (Olkiluoto) est très faible et celui des deux EPR chinois (Taishan) très mal connu.

L’EPR a connu de très nombreuses modifications de conception tout au long de sa construction, par exemple le refus en 2009 du système de contrôle-commande par les autorités de sûreté nucléaire finlandaise, anglaise et française. Le réacteur a été équipé d’équipements défaillants du fait de la falsification de certificats de conformité, concernant notamment le couvercle et le fond de cuve. Il a connu, dès le début de la construction, des échecs sur les opérations de soudage. Les opérations de « correction » de ces défauts ne sont d’ailleurs pas terminées et l’avis de l’IRSN du 21 juillet 2022 [4] permet de se rendre compte que la situation actuelle est loin d’être satisfaisante.

Concernant le passage de l’EPR à l’EPR2, citons l’un des « Considérants » de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire du 16 juillet 2019 [5] qui porte sur le Dossier d’options de sûreté (DOS) des deux projets EPR Nouveau Modèle et EPR2 :

« Le projet de réacteur EPRNM doit prendre en compte les enseignements tirés de la conception, de la réalisation, des essais et des premières années de fonctionnement des réacteurs de type EPR situés en France et à l’étranger ».

La construction d’EPR2 ne saurait donc être décidée avant un fonctionnement assuré de l’EPR.

EPR2 est présenté comme un « EPR simplifié  ». Cette simplification porte d’abord sur une plus grande facilité de construction, ce qui est la moindre des choses au vu des échecs de celle de l’EPR de Flamanville, mais aussi sur des modifications d’équipements importants qui n’améliorent pas la sûreté, voire la font régresser : enceinte de confinement simple contre double sur l’EPR ; ralentisseur de corium au lieu de récupérateur de corium sur l’EPR ; trois trains de sauvegarde au lieu de quatre dans l’EPR ; non protection du bâtiment combustible par l’enceinte de confinement dans EPR2, point particulièrement sensible ; non « bunkerisation » des ouvrages assurant le refroidissement afin de faciliter la construction.

Ces simplifications correspondent plus à des considérations de baisse des coûts qu’à des soucis d’amélioration de la sûreté, en opposition à la doctrine historique de la sûreté nucléaire d’une amélioration à chaque passage d’une filière à une autre.

L’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire du 16 juillet 2019 sur le Dossier d’options de sûreté (DOS) pose de nombreuses questions.

Le rapport du Gouvernement de Février 2022, intitulé « Travaux relatifs au nouveau nucléaire » souligne un certain nombre d’interrogations et de difficultés dans la mise en œuvre du projet EPR2.

Enfin, au vu de ce qui s’est passé sur l’EPR de Flamanville et les problèmes de corrosion sous contrainte non élucidés qui affectent le parc existant, l’exclusion de rupture des circuits primaire et secondaire pour EPR2 est inacceptable.

Au-delà des réacteurs, un système complexe et dangereux

Le projet de lancer la construction de six EPR2 concernerait également toutes les étapes du combustible nucléaire : extraction du minerai, enrichissement de l’uranium et entreposage de l’uranium appauvri, retraitement éventuel des combustibles irradiés, démantèlement des réacteurs nucléaires et des usines du combustible, entreposage des combustibles irradiés et, ou, du plutonium et des déchets vitrifiés, stockage géologique ou entreposage à moyen terme des déchets à haute activité à vie longue, stockage définitif des autres déchets.

C’est un système complexe et dangereux, réparti sur l’ensemble du territoire, dont plusieurs composantes devraient fonctionner au-delà du XXIème siècle.

La vulnérabilité du système nucléaire aux agressions extérieures va se manifester de façon croissante face aux bouleversements climatiques : hausse du niveau de la mer pour les sites de Penly et Gravelines, hausse de la température et baisse du débit sur les fleuves pour les sites de Tricastin et Bugey, tempêtes et tornades de plus en plus fréquentes et violentes et inondations sur des projets en construction comme Cigéo.

Vulnérabilité également face aux risques sociétaux, attentats et malveillance ou géopolitiques, sabotages et conflits armés.

En conclusion

Il n’est pas acceptable de relancer des activités nucléaires polluantes, dangereuses et vulnérables aux agressions de toutes sortes pendant au moins le siècle à venir, alors que des solutions alternatives, sobriété, efficacité et énergies renouvelables, beaucoup moins dangereuses, beaucoup plus rapides à mettre en œuvre et beaucoup moins chères, sont à portée de main.