Les Cahiers de Global Chance, n°4, juin 1994

Contributions au débat sur l’énergie - Agriculture, forêts et développement durable

Deux “débats” officiels sur l’énergie ont déjà eu lieu en France, en octobre 1981 puis en février 1990, conduits au Parlement et ne rassemblant, dans l’indifférence classique des discussions sans véritable enjeu politique, que quelques parlementaires commis d’office. Organisé sur trois mois, l’actuel « Débat sur l’énergie et l’environnement », dont les conclusions devraient être remises au gouvernement le 15 août prochain, a donc au moins le mérite de faire sortir le débat de l’hémicycle. Pour le reste, et alors que les débats précédents n’avaient à vrai dire guère modifié le paysage énergétique français (qui a continué à refléter, dans ses grandes options, les orientations prises dans la seconde moitié des années 70 en faveur du nucléaire), que peut-on attendre de ce nouveau débat officiel, dont l’organisation est peu propice à une participation ouverte et avertie du public et dont l’objectif annoncé est « d’affermir le consensus national sur [...] la politique de l’énergie » - mais de quel consensus veut-on parler alors même que jamais la population française n’a eu à se prononcer sur le sujet ? Ce troisième débat ne va donc pas changer le long fleuve tranquille de la politique énergétique française. Reste qu’une certaine sensibilisation au sujet se fait jour progressivement, et qu’on assiste à l’émergence sur la place publique d’idées non-conformistes, tranchant sur les propositions péremptoires avancées par les ténors du productivisme énergétique emportés par EDF.

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38 numéros, 4 hors-série... : Les Cahiers de Global Chance, 1992-2016
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éditorial :
SANS BEAUCOUP D’ILLUSION

Débat sur la recherche, débat sur l’aménagement du territoire, débat sur l’énergie... la France est à l’heure des débats. Des débats menés tambour battant qui font rêver que l’on eut pris le temps. Le temps d’informer, de s’informer, du sujet à débattre. Le temps, en ce qui concerne l’énergie en particulier, de comprendre les enjeux des différentes stratégies énergétiques possibles et d’organiser des discussions larges et controversées dans de multiples lieux de rassemblement, à l’image de ce qu’a fait la Suède, par exemple, il y a une quinzaine d’années. En France, c’est sur trois mois que se déroule le débat sur l’énergie et l’environnement, dont l’objectif est « d’affermir le consensus national sur l’équilibre entre les préoccupations économiques et écologiques qui inspirent la politique de l’énergie ». Six grands thèmes « d’intérêt collectif » doivent donner lieu à un débat national spécifique dans une région, et 13 thèmes feront l’objet de débats conduits dans toutes les régions. Le rapport de synthèse doit être remis au gouvernement pour le 15 août. La saisine du Parlement est envisagée.

C’est le troisième débat tenu en France sur l’énergie. Les deux premiers ont été conduits au Parlement. En octobre 1981 puis en février 1990, l’hémicycle avait ainsi rassemblé, dans l’indifférence classique des discussions sans véritable enjeu politique, quelques parlementaires commis d’office qui au titre des ministères concernés, qui relevant des commissions de l’assemblée chargées des dossiers préparatoires, qui représentants officiels des différents groupes politiques. Ces débats n’ont à vrai dire guère modifié le paysage énergétique français qui a continué à refléter, dans ses grandes options, les orientations prises dans la seconde moitié des années 70. À savoir une emprise croissante de l’électricité dans le bilan énergétique, avec une poussée de l’énergie nucléaire dont la part dans la production d’électricité dépasse les 75%. Si la croissance de l’énergie nucléaire s’est infléchie par rapport aux prévisions dans le courant des années 80, pour s’arrêter en 1987, c’est principalement devant l’évidence d’une surproduction par rapport aux besoins de la consommation. Sans remous, ni coups d’éclat, deux évolutions décisives se sont cependant engagées en 1981. À cette époque, en effet, la maîtrise de l’énergie et les énergies renouvelables sont entrées dans les propos officiels tenus sur l’énergie. Ces deux thèmes sont même devenus la vocation d’une agence spécifique, l’Agence française pour la maîtrise de l’énergie (AFME). Au sort inégal et toujours incertain, celle-là s’est néanmoins maintenue en adaptant son intitulé au goût du jour avec la dénomination d’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Au-delà d’un point de vue institutionnel, la maîtrise de l’énergie est devenue une préoccupation incontournable de la réflexion sur l’énergie, même si les bas prix du pétrole de ces dernières années en ont diminué la priorité effective. Quant aux énergies renouvelables, il est toujours de bon ton d’en parler mais on ne peut pas dire qu’elles soient sérieusement considérées en France par les autorités techniques et politiques.

La deuxième évolution que l’on peut faire remonter à 1981 est l’entrée des parlementaires dans le débat énergétique avec la création de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Aux prises avec les querelles entre la droite et la gauche, l’Office a mis longtemps pour affirmer son existence. Mais, à la fin des années 80, il a acquis un rôle majeur d’information pour le Parlement, en particulier en matière de sécurité nucléaire. Il a ainsi émis en 1991 un rapport sur le stockage des déchets nucléaires à haute radioactivité. C’était un an après que Michel Rocard, alors Premier ministre, ait décrété un moratoire sur toutes les recherches concernant ces déchets, en réponse aux oppositions violentes que les travaux de prospection conduits par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) déclenchaient sur tous les sites. Et, le 30 décembre 1991, le Parlement a adopté la première loi nucléaire française. Cette loi porte sur les déchets nucléaires de haute activité et suit dans ses grandes lignes le rapport élaboré par l’Office. Elle traite des recherches à entreprendre, et plus précisément des études géologiques à conduire en laboratoire souterrain. Elle répond directement aux préoccupations des populations qui avaient imposé le moratoire : elle institutionnalise l’indépendance de l’ANDRA par rapport au Commissariat à l’énergie atomique, elle fait une large place aux représentants locaux dans les instances de consultation et les assure de compensations financières.

En 1994, le débat sur l’énergie sort de l’hémicycle. Il fournira, sans doute, son lot classique de discussions intéressantes et de propos convenus. Cependant, certaines réserves viennent à l’esprit en ce qui concerne son impact. La première, nous en avons déjà parlé, est liée à la tenue précipitée des discussions qui laisse mal augurer d’une participation ouverte et avertie du public. La deuxième tient à l’a priori ouvertement affiché dans son objectif : « affermir le consensus national... ». De quel consensus veut-on parler alors même que jamais la population française n’a eu à se prononcer sur le sujet ? Troisièmement, le ministère de l’industrie a déjà commandité un rapport important sur le sujet, le rapport Mandil sorti à la fin de l’année dernière, qui doit servir de base au débat national. Sa principale préoccupation a trait à l’organisation électrique et gazière en France. Quelques marges permettront peut-être d’y insérer les attentes du public, cependant le sujet paraît bien pointu pour un néophyte. Enfin, alors que le débat commence à peine, le gouvernement vient de donner son accord à la mise en service des derniers ateliers de la deuxième usine de retraitement des combustibles irradiés à La Hague. Or cette opération technique constitue la base même de la doctrine nucléaire française. Assurant la séparation des divers éléments qui se sont constitués au cours du séjour du combustible dans la centrale nucléaire, et permettant ainsi la production du plutonium, elle assure selon ses promoteurs une gestion optimale des déchets du point de vue de la sûreté ainsi qu’une utilisation rationnelle des ressources énergétiques. Elle détermine en tout état de cause un cycle de combustible nucléaire impliquant l’utilisation du plutonium et une fin de cycle interdisant de stocker les combustibles irradiés en l’état. Le démarrage de la nouvelle unité de retraitement est lourd de conséquences, sur le plan financier comme sur le plan stratégique. Alors même que les gouvernements s’embourbent les uns après les autres dans le dossier de Superphénix, cette décision de s’engager plus avant dans la voie du plutonium rend plus difficile une diversification de la filière ou un retrait du nucléaire. Apparaît d’ailleurs ici une limite majeure à la loi votée par le Parlement qui, en se focalisant sur les déchets tels qu’ils existent aujourd’hui, s’est interdit de se prononcer sur des choix différents de cycle du combustible nucléaire, donc sur la stratégie nucléaire.

Selon toute vraisemblance, ce n’est pas ce troisième débat qui va changer le long fleuve tranquille de la politique énergétique française. Cependant, une certaine sensibilisation au sujet se fait jour progressivement en France. On assiste à l’émergence sur la place publique d’idées non-conformistes, tranchant sur les propositions péremptoires avancées par les ténors du productivisme énergétique emportés par EDF. Nous continuons à leur faire écho avec Global Chance. Après le troisième numéro qui s’est attaché à comparer différents scénarios énergétiques, après un débat au Sénat que nous avons organisé aux côtés de multiples organisations non gouvernementales et dont nous présentons ici un bref compte-rendu, nous proposons maintenant ces Cahiers qui passent du bois et du transport en France, aux réductions de gaz carbonique en Europe, posent la question du développement de la bioénergie et placent le débat français dans une perspective énergétique mondiale pour le siècle prochain.

Martine Barrère

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SOMMAIRE

Éditorial
Sans beaucoup d’illusion (pdf, 28 Ko)
Martine Barrère

Contributions au débat national sur l’énergie

Fuel is beauty small.
Assurer les besoins d’énergie de 11 milliards d’hommes sans détruire la planète
(pdf, 584 Ko)
Benjamin Dessus

Compte-rendu du colloque « Les stratégies énergétiques entre le risque nucléaire et l’effet de serre » (Sénat, 8 au 10 avril) (pdf, 28 Ko)

Mobilité et urbanisme : vers un péage urbain (pdf, 96 Ko)
Yves Martin

Les enjeux de la mobilisation du bois énergie en France (pdf, 64 Ko)
Carine Barbier et Pierre Radanne

Point de vue : une stratégie énergétique de moindre coût pour l’Europe (pdf, 152 Ko)
Florentin Krause

Tchernobyl : halte au chantage (pdf, 44 Ko)
Benjamin Dessus, Le Monde, 17 mai 1994

Agriculture, forêts et développement durable

La bioénergie, une composante essentielle du développement planétaire durable ? (pdf, 324 Ko)
Arthur Riedacker

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38 numéros, 4 hors-série...
LES CAHIERS DE GLOBAL CHANCE, 1992-2016

(encadré = plus d’informations au survol)

Pourquoi Global Chance
L’effet de serre et la taxe sur le carbone
Les réactions à l’appel de Heidelberg
Les Cahiers de Global Chance, n°1, décembre 1992, 40 pages

Global Chance et le nucléaire
Écologie, environnement et médias
Sciences, progrès et développement
Les Cahiers de Global Chance, n°2, juin 1993, 56 pages

L’énergie en débat
Nucléaire civil et prolifération
Scénarios énergétiques et marges de liberté
Les Cahiers de Global Chance, n°3, mars 1994, 44 pages

Contributions au débat sur l’énergie
Agriculture, forêts et développement durable
Les Cahiers de Global Chance, n°4, juin 1994, 60 pages

Si l’on parlait climat ?
Le débat national énergie & environnement
Les conditions d’une transition vers un développement durable
Les Cahiers de Global Chance, n°5, avril 1995, 44 pages

Numéro spécial en hommage à Martine Barrère
Les Cahiers de Global Chance, n°6, février 1996, 58 pages

Effet de serre : les experts ont-ils changé d’avis ?
Rapports résumés du Groupe Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat
Commentaires et analyses
Les Cahiers de Global Chance, n°7, juillet 1996, 120 pages

Développement durable et solidarité
Les Cahiers de Global Chance, n°8, juillet 1997, 68 pages

De Rio à Kyoto : la négociation climat
Les Cahiers de Global Chance, n°9, novembre 1997, 76 pages

Le climat, risque majeur et enjeu politique : de la conférence de Kyoto à celle de Buenos Aires
Les Cahiers de Global Chance, n°10, mars 1998, 64 pages

Le nucléaire en débat : n’avons-nous pas le temps d’élaborer des solutions acceptables ?
Les Cahiers de Global Chance, n°11, avril 1999, 52 pages

Environnement et mondialisation
Principes d’équité et de précaution dans la négociation climat
Les Cahiers de Global Chance, n°12, novembre 1999, 74 pages

Faire l’économie du nucléaire ? Un rapport récent relance le débat
Les Cahiers de Global Chance, n°13, novembre 2000, 98 pages

Changements climatiques : les politiques dans la tourmente
Les Cahiers de Global Chance, n°14, mars 2001, 80 pages

Les énergies renouvelables face au défi du développement durable
Les Cahiers de Global Chance, n°15, février 2002, 110 pages

Maîtrise de l’énergie et développement durable
Les Cahiers de Global Chance, n°16, novembre 2002, 130 pages

Petit mémento énergétique
Éléments pour un débat sur l’énergie en France
Les Cahiers de Global Chance, hors-série n°1, janvier 2003, 52 pages

Débat énergie : une autre politique est possible
Les Cahiers de Global Chance, n°17, septembre 2003, 100 pages

Le réacteur nucléaire EPR : un projet inutile et dangereux
Les Cahiers de Global Chance, n°18, janvier 2004, 56 pages

Climat, énergie : éviter la surchauffe
Les Cahiers de Global Chance, n°19, juin 2004, 70 pages

Les utopies technologiques : alibi politique, infantilisation du citoyen ou lendemains qui chantent ?
Les Cahiers de Global Chance, n°20, février 2005, 60 pages

Petit mémento des déchets nucléaires
Éléments pour un débat sur les déchets nucléaires en France
Les Cahiers de Global Chance, hors-série n°2, septembre 2005, 48 pages

Développement, énergie, environnement : changer de paradigme
Les Cahiers de Global Chance, n°21, mai 2006, 84 pages

Débattre publiquement du nucléaire ? Un premier bilan des deux débats EPR et déchets organisés par la Commission nationale du débat public
Les Cahiers de Global Chance, n°22, novembre 2006, 76 pages

Énergies renouvelables, développement et environnement :
discours, réalités et perspectives
Les Cahiers de Global Chance, n°23, avril 2007, 120 pages

Petit mémento des énergies renouvelables
Éléments pour un débat sur les énergies renouvelables en France
Les Cahiers de Global Chance, hors-série n°3, septembre 2007, 84 pages

De Grenelle à Bali : avancées, incertitudes, contradictions et perspectives
Les Cahiers de Global Chance, n°24, mars 2008, 80 pages

Nucléaire : la grande illusion - Promesses, déboires et menaces
Les Cahiers de Global Chance, n°25, septembre 2008, 84 pages

Vers la sortie de route ? Les transports face aux défis de l’énergie et du climat
Les Cahiers de Global Chance, n°26, janvier 2009, 148 pages

Petit mémento énergétique de l’Union européenne
Les Cahiers de Global Chance, hors-série n°4, avril 2009, 140 pages

Du gâchis à l’intelligence. Le bon usage de l’électricité
Les Cahiers de Global Chance, n°27, janvier 2010, 148 pages

La science face aux citoyens
Les Cahiers de Global Chance, n°28, décembre 2010, 56 pages

Nucléaire : le déclin de l’empire français
Les Cahiers de Global Chance, n°29, avril 2011, 112 pages

L’énergie en France et en Allemagne : une comparaison instructive
Les Cahiers de Global Chance, n°30, septembre 2011, 96 pages

L’énergie et les présidentielles : décrypter rapports et scénarios
Les Cahiers de Global Chance, n°31, mars 2012, 100 pages

L’efficacité énergétique à travers le monde : sur le chemin de la transition
Les Cahiers de Global Chance, n°32, octobre 2012, 180 pages

Des questions qui fâchent : contribution au débat national sur la transition énergétique
Les Cahiers de Global Chance, n°33, mars 2013, 116 pages

Le casse-tête des matières et déchets nucléaires
Les Cahiers de Global Chance, n°34, novembre 2013, 76 pages

Autour de la transition énergétique : questions et débats d’actualité
Les Cahiers de Global Chance, n°35, juin 2014, 84 pages

Autour de la transition énergétique : questions et débats d’actualité (suite)
Les Cahiers de Global Chance, n°36, novembre 2014, 68 pages

Imaginer l’inimaginable ou cultiver son jardin ?
Les Cahiers de Global Chance, n°37, juin 2015, 100 pages

Sans relâche : décrypter, expliquer, proposer
Les Cahiers de Global Chance, n°38, janvier 2016, 84 pages

Chères lectrices, chers lecteurs,
Communiqué du mercredi 1er juillet 2015

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pour aller plus loin...
CHANGER DE PARADIGME | LES DOSSIERS DE GLOBAL-CHANCE.ORG

Changer de paradigme...


Énergie, Environnement, Développement, Démocratie : changer de paradigme pour résoudre la quadrature du cercle (Manifeste publié en ligne le 1er mai 2014)

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