Contribution de Global Chance à la consultation sur la PPE 2019

, par   Global Chance

Insuffisances notables sur la prise en compte de la sûreté nucléaire. Perspectives illusoires et dangereuses sur la gestion des combustibles et celle des déchets nucléaires.

Global Chance concentre son avis sur le projet de PPE à la production d’électricité d’origine nucléaire qui fait l’objet des paragraphes 3.58 (« Le nucléaire ») et l’essentiel du paragraphe 4.5 (« Le mix électricité) du document mis en consultation. Chaque partie de ces textes mériterait des commentaires approfondis : nous nous contentons ici d’en aborder deux principaux :

  • La gestion du parc existant et la place du nucléaire dans le mix électricité.
  • La gestion du combustible nucléaire et son retraitement.
    Un problème majeur est évidemment celui des coûts, en règle générale sous-évalués, mais il serait trop long de l’aborder ici car il demande des développements très détaillés.

Rappelons seulement que :

  • Les coûts réels du nucléaire historique sont de plus en plus impactés par les mesures post Fukushima qui ont été évaluées à 100 Md€ par la Cour des Comptes, ainsi que par les coûts réels de démantèlement des centrales et de stockage des matières et déchets radioactifs.
  • Des doutes grandissants se développent quant aux chances de compétitivité des avatars de la technologie EPR, notamment par rapport aux coûts fortement décroissants des sources renouvelables.

1. La gestion du parc existant et le nucléaire dans le mix électricité

Le projet de rapport PPE, à différents endroits, prend pour seule hypothèse que, à part les deux réacteurs de Fessenheim, les 32 réacteurs de 900 MW de puissance électrique fonctionneront jusqu’à l’âge de 50 ans à partir de leur première divergence [1] (en théorie mais décalée vers le haut du fait de la prise en compte des arrêts pour les visites décennales). Or, sans qu’il y ait en France de limite réglementaire pour la durée de fonctionnement des réacteurs électronucléaires, on sait que cette durée était initialement prévue de 30 ans et que, dès la troisième visite décennale (dans les années 2010), un certain nombre de réacteurs n’ont obtenu l’autorisation de continuer à fonctionner plus avant que moyennant l’exécution de certains travaux de mise à niveau de la sûreté.

Pour la quatrième visite décennale, les exigences de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) vont bien au-delà : conformité de l’état du réacteur par rapport aux exigences de sûreté initiales (pour les cuves par exemple), réalisation de travaux d’amélioration de la sûreté (« Post-Fukushima »), réalisations lourdes afin de se rapprocher le plus possible de la sûreté de l’EPR, notamment par la mise en place d’un dispositif de type « récupérateur de corium »).

Il n’y a donc aucune certitude que tous les réacteurs de 900 MW obtiendront l’autorisation de poursuivre leur fonctionnement après la quatrième visite décennale, ce qu’affirme d’ailleurs clairement l’ASN.

Il est par conséquent inadmissible que la PPE fasse fi de la position de l’ASN et des critères de sûreté en signalant simplement que ces réacteurs « passeront leur 4ème visite décennale dans la période 2019-2025  » (paragraphe 3.5.8), ce qui ne sera très probablement pas le cas (du fait de l’étalement dû au nombre de réacteurs concernés) et surtout en n’évoquant en aucune façon les enjeux de sûreté nucléaire de cette visite décennale. Pour la PPE, l’ASN se trouve ainsi réduite au mieux au rôle de réparateur de sûreté.

On retrouve la même inconséquence au paragraphe 4.5 : « Le principe général sera l’arrêt des réacteurs, hors Fessenheim, à l’échéance de leur 5ème visité décennale, soit des arrêts entre 2029 et 2035  ». La loi énergie de 2015 avait fixé pour 2025 l’objectif de réduction de la part de la production d’origine nucléaire dans la production totale à 50%, contre 75% à l’époque. La PPE, outre l’absence de considérations sur la sûreté nucléaire, entérine tout simplement et sans justification claire le report de la date de cet objectif à 2035 : voilà dix ans de gagnés !

Notons à propos de ce « principe général » un « détail » assez cocasse : la PPE nous dit « Le Gouvernement considère que ces fermetures sont cohérentes avec la stratégie industrielle d’EDF qui amortit comptablement les réacteurs de 900 MW sur une durée de 50 ans et ne donneront donc pas lieu à indemnisation  ». C’est oublier que cette décision comptable d’EDF a été prise unilatéralement par EDF en 2016 et que rien ne l’empêche de décider un beau jour que cette durée serait de 60 ans, rouvrant ainsi la demande d’indemnisation.

Enfin, sans que cela entraîne la nécessaire production d’un scénario alternatif, la seule allusion, modeste, à l’intervention de la sûreté nucléaire dans cette programmation est : « Le Gouvernement demande à EDF de prévoir la fermeture de 2 réacteurs par anticipation des 5èmes visites décennales entre 2027 et en 2028 au titre de sa politique énergétique  » (quelle audace !) et « Ces réacteurs seront arrêtés sauf si : l’ASN demandait d’ici-là la fermeture d’autres réacteurs pour raison de sûreté  ». Mais la suite tempère le propos : « Sauf si leur fermeture conduisait à ne pas respecter les critères de sécurité d’approvisionnement  ». Gageons que l’on trouvera alors de bonnes raisons d’approvisionnement pour rien fermer…

Pour en terminer avec la question de la part du nucléaire dans la production d’électricité, on lit au paragraphe 4.5 que « L’analyse de ces conditions (du marché de l’électricité au niveau européen) fera l’objet d’un rapport remis par la Commission de régulation de l’énergie au Gouvernement avant le 1er décembre 2022, et s’appuyant sur l’expertise de RTE  ».

La durée de vie de cette PPE risque bien d’être très brève.

2. La gestion du combustible nucléaire et son retraitement

La figure 52 du paragraphe 3.5.8 et le texte qui l’accompagne maintiennent contre toute évidence la fiction du « cycle du combustible en France » fondée sur le retraitement des combustibles irradiés issus des réacteurs et dont l’objectif est la production du plutonium. Cet élément, dont le principal isotope, 239, est fissile et dont un stock issu du passé de plusieurs dizaines de tonnes existe déjà, est actuellement entièrement recyclé dans les combustibles MOX (uranium appauvri-plutonium). Il ne représente que 1% de la quantité de matière nucléaire contenue dans le combustible irradié, le reste étant 95% d’uranium dit « de retraitement » et 4% d’un mélange de produits de fission et d’actinides mineurs, les uns et les autres étant entreposés à La Hague, tandis que plus de 300 000 tonnes d’uranium appauvri issus de l’enrichissement le sont sur d’autres sites, comme les déchets nucléaires de faible et moyenne activité.

De plus, le plutonium obtenu par retraitement n’est pas entièrement recyclé. La quantité de plutonium « sur l’étagère » à l’usine de La Hague augmente régulièrement depuis 2011 : de 36 tonnes à 48 tonnes fin 2018. Il n’y a pas de « Plan B » pour gérer ce plutonium qui restera très probablement inutilisé, tandis que sa production ne cesserait d’augmenter avec la poursuite du retraitement des combustibles irradiés (environ 1000 tonnes retraitées annuellement).

Ce « mono-recyclage » partiel actuel ne simplifie en aucune façon la gestion des déchets nucléaires. Il a plutôt tendance à en multiplier la diversité en masquant les difficultés qui nous attendent par l’attribution de la dénomination « matières nucléaires » et non « déchets nucléaires » à tout ce qui pourrait éventuellement, mais avec une probabilité de plus en plus faible, être réutilisé. Ce serait le « multi-recyclage », notamment par le développement de surgénérateurs, qui reste tout à fait illusoire car il impliquerait des développements industriels extrêmement coûteux, tandis que, déjà aujourd’hui, l’utilisation du MOX n’apporte que des coûts supplémentaires et des risques de sûreté pour les réacteurs d’EDF.

Une telle obstination dans la stratégie nucléaire française, alors que tous les pays « nucléaires », sauf la Russie, ne pratiquent pas le retraitement des combustibles irradiés, pose sérieusement question, et se trouve contredite dans les faits par l’abandon – à la fois raisonnable et justifié - du projet du prototype ASTRID de réacteur à neutrons rapides, prélude à une filière de surgénérateurs.

Cette question a été largement discutée lors du récent débat public sur le projet de Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) [2], sans que la PPE ne fasse la moindre allusion à la solution qui a été proposée par les ONG participantes (FNE, Global Chance, Greenpeace, Wise-Paris) : l’abandon du retraitement et l’entreposage à sec des combustibles irradiés sur le site des centrales ou des sites dédiés, après un court séjour dans les « piscines » des réacteurs, ce qui éviterait notamment la construction d’une grande piscine centralisée proposée par EDF pour entreposer à l’eau pendant une centaine d’années des combustibles irradiés non retraités et notamment des combustibles MOX, solution qui comporte des risques, surtout sur une si longue période, à la fois de sûreté et de sécurité du fait de la possibilité d’agressions extérieurs, soit naturelles, liées notamment aux bouleversements climatiques, soit malveillantes.

Enfin, la gestion des déchets HA et MA-VL (haute activité et moyenne activité à vie longue) est traitée dans le projet de PPE par une brève allusion au projet Cigéo (le mot n’apparaît qu’une fois, page 140 : « Des études spécifiques, dites études d’adaptabilité de Cigéo, visent…  »). Le projet Cigéo est manifestement considéré comme acquis alors qu’il pose des problèmes considérables en termes techniques, de sûreté, d’éthique et de coût. Inutile de préciser qu’aucune allusion n’est faite à la solution alternative « Entreposage à sec en sub-surface grandes cavités à flanc de colline couplé aux efforts de recherche » qui a été présentée et largement approuvée par le public lors du débat de la CNDP sur le PNGMDR consacré à ce sujet.