« Contribution climat énergie : agir sur l’offre... et sur la demande »

, par   Pierre Cornut

Pierre Cornut
Acteurs de l’économie Rhône-Alpes, numéro 84, juillet-août 2009

Alors que Michel Rocard préside début juillet une conférence de consensus sur un projet de contribution climat énergie, l’économiste Pierre Cornut, consultant dans le domaine énergie-climat et membre de l’association Global Chance, en détaille les enjeux, la faisabilité et les conséquences pour les entreprises.


Note du webmestre de www.global-chance.org :

L’interview proposée ci-dessus est la version validée par Pierre Cornut et non la version effectivement publiée par Acteurs de l’économie Rhône-Alpes dans son numéro 84 (juillet-août 2009).

En effet, un certain nombre de modifications malheureuses ont été apportées par la rédaction du magazine : choix d’un titre – « Au secours du climat, mais pas des entreprises » – prenant le contre-pied des analyses développées dans l’interview, suppression de la phrase « l’idée que les entreprises puissent être “visées” me paraît inadaptée, que ce soit pour un usage défensif (entreprises) ou offensif (écologistes). », etc.

Un rectificatif a donc été publié par Acteurs de l’économie Rhône-Alpes à la demande de Pierre Cornut.

À lire également sur cette page, la présentation d’une note de Pierre Radanne et Bettina Laville sur la contribution climat énergie et des six principes d’action recommandés par ses auteurs.


Alors que le Grenelle de l’environnement a refait surgir l’idée d’une taxe carbone, en quoi consiste cette taxe ?

Il est plus exact de parler d’une taxe mixte – au niveau français, le terme consacré est désormais « contribution climat énergie » – qui serait assise pour partie sur le contenu carbone et pour une autre partie sur le contenu énergétique. Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, il faut en effet agir non seulement sur l’intensité carbone de l’offre énergétique (moins d’énergies fossiles, plus de renouvelables, etc.), mais aussi sur la demande d’énergie, dont la maîtrise est incontournable pour lutter avec succès contre le changement climatique. Par ailleurs, il est souhaitable que le volet « carbone » de la taxe englobe en réalité aussi les autres gaz à effet de serre (méthane, protoxyde d’azote, etc).

Pourquoi cette taxe est-elle de nouveau envisagée ?

Il en avait déjà été question au début des années 90 dans le cadre des négociations climat. Face à l’approche préconisée par les États-Unis (quotas d’émission et marché carbone), l’Europe avait envisagé une écotaxe mixte carbone-énergie. Mais ce projet s’est heurté à l’industrie nucléaire et ses relais politiques, notamment en France, qui voient dans la menace climatique l’opportunité d’une relance du nucléaire et souhaitent une taxe basée sur le seul contenu carbone. L’approche américaine des « marchés de droits à polluer » s’est donc imposée à Kyoto en 1997. Elle présente toutefois de nombreuses et sérieuses limites, qui commencent seulement à être reconnues par les négociateurs comme par les décideurs. De plus, les marchés carbone mis en place ne couvrent qu’une partie des acteurs économiques : environ 1500 installations énergétiques et industrielles par exemple en France.

Aujourd’hui, une telle taxe est-elle facile à mettre en œuvre auprès des entreprises ?

D’un point de vue politique, non, car elle sera inévitablement perçue par une majorité des entreprises comme une contrainte supplémentaire. D’un point de vue technique par contre, je pense que la réponse est oui, à condition de ne pas vouloir constuire une usine à gaz : il faut, au contraire, s’appuyer autant que possible sur l’existant. Ainsi, les flux énergétiques dans la sphère économique sont déjà dans leur quasi totalité facturés et taxés. Sur le plan financier, le système comptable et fiscal déjà en place permet donc d’envisager rapidement une taxation mixte basée sur ces flux, dont on connaît par définition le contenu énergétique et dont on peut calculer le contenu carbone. C’est pourquoi il me semble que la question n’est pas tant de savoir si l’on est capable techniquement de mettre en place une telle taxe, mais plutôt de savoir si la volonté politique est là et quelle sera l’influence de certains lobbies sur les arbitrages qui seront rendus à ce sujet.

Concrètement qu’est-ce que cette taxe signifie pour les entreprises ?

Elles vont par exemple devoir adapter leurs logiques et leurs pratiques pour, entre autres, consommer moins d’énergie. Pour certaines, qui disposent de marges de manoeuvre au regard des process existants, cela ne posera pas de problèmes insurmontables. Pour d’autres, ce sera plus délicat : il leur sera alors difficile de ne pas simplement répercuter la taxe dans leur prix. Ceci étant, l’idée n’est pas d’imposer du jour au lendemain une taxe ‘massue’, mais d’agir sur le long terme avec une taxe dont le taux augmentera progressivement afin de donner temps et visibilité aux entreprises. Cela n’aura donc rien à voir avec la brutalité des hauts et bas pétroliers, pour prendre un exemple familier. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que cette écotaxe doit être neutre fiscalement, c’est-à-dire compensée par des baisses sur d’autres prélèvements : des allègements de charges sociales ciblés sur les bas salaires seraient par exemple sûrement bien accueillis par les entreprises. L’exigence de neutralité fiscale peut aussi se traduire par des mesures ciblées sur la réduction des consommations énergétiques et des émissions de gaz à effet de serre : les ressources financières prélevées permettraient alors d’aider les acteurs économiques à s’adapter à la nouvelle donne.

Les entreprises sont-elles les premières visées par cette taxe ?

Quelle que soit son assiette et ses modalités, cette écotaxe concernera de façon directe ou indirecte les entreprises comme les particuliers, sans oublier les administrations et autres acteurs de l’économie. D’ailleurs, quitte à simplifier le tableau, les biens et services fournis par les entreprises sont consommés en bout de chaîne par les particuliers : la question des « responsabilités » se pose donc de façon globale. C’est pourquoi l’idée que les entreprises puissent être « visées » me paraît inadaptée, que ce soit pour un usage défensif (entreprises) ou offensif (écologistes).

Cette taxe n’est-elle pas suicidaire pour l’économie française si elle n’est pas instaurée dans le reste de l’Europe voir du monde ?

En fait, ce problème se pose pour l’ensemble des politiques climatiques. Pour l’instant, il est question de mettre en place au niveau européen une taxe sur les importations en provenance des pays qui ne joueraient pas le jeu. Mais ce projet se heurte aux règles de l’OMC. Là encore, on est dans le champ du politique : la libéralisation des échanges commerciaux doit-elle primer sur les enjeux environnementaux ?

Si elle voit le jour, cette taxe est-elle de nature à bouleverser les équilibres économiques en France ?

La taxe ne sera pas sans incidences, en particulier à moyen et long terme. C’est d’ailleurs sa raison d’être. On peut donc bien parler de bouleversement des équilibres économiques. Mais il s’agit d’un bouleversement progressif et maîtrisé, de loin préférable au bouleversement de civilisation qui nous menace si nous optons pour le « laisser faire ».

(Propos recueillis par Françoise Sigot)

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Rectificatif publié par Acteurs de l’économie Rhône-Alpes, numéro 87, janvier 2010

J’ai été interviewé le 15 juin par Françoise Sigot sur le thème de la contribution climat énergie (“taxe carbone”). Après relecture par mes soins, cette interview a été publiée dans le n°84 d’Acteurs de l’économie Rhône-Alpes (juillet-août 2009) sous le titre « Au secours du climat, mais pas des entreprises ». Choisi par la rédaction, ce titre ne me paraît pas approprié. En effet, il ne reflète pas mes propos, puisque je me suis attaché à souligner que la mise en place d’une contribution climat énergie devait être progressive et neutre fiscalement, précisant même (dans une phrase malheureusement supprimée par la rédaction) que « l’idée que les entreprises puissent être “visées” me paraît inadaptée, que ce soit pour un usage défensif (entreprises) ou offensif (écologistes). » Par ailleurs, le titre retenu oppose climat et entreprises, ce qui me paraît doublement maladroit. D’abord, l’action publique est multiple : si l’objectif de la future taxe est bien de venir « au secours du climat », d’autres mesures viennent, dans le contexte de crise que nous traversons, porter « secours » aux entreprises, et il ne viendrait pas à l’esprit de vos lecteurs de les dénoncer au seul motif qu’elles ne ciblent pas simultanément la lutte contre le changement climatique. Ensuite, la nature et l’ampleur même de la menace climatique font qu’il est vain d’espérer que les entreprises, et, plus largement, l’économie et la société puissent prospérer de façon déconnectée de la réalité écologique du monde : de ce point de vue, venir « au secours du climat » est une préoccupation que nous devrions tous partager.

Pierre Cornut, membre de l’association Global Chance

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À signaler également sur le même thème, une note de Pierre Radanne et Bettina Laville : Les principes indispensables à l’instauration de la contribution climat-énergie (30 juin 2009).

Publiée dans la perspective de la conférence d’experts organisée conjointement par le Ministère de l’Economie et des Finances et le Ministère du Développement Durable sous la Présidence de Michel Rocard les 2 et 3 juillet 2009, cette note propose « six principes d’action » :

La France doit faire preuve de volontarisme et ainsi renforcer le rôle précurseur de l’Europe en matière de lutte contre le changement climatique dans les négociations internationales à venir ;

Le taux de taxation carbone doit être suffisamment fort pour donner un signal clair qui donne un attrait particulier aux technologies à moindre impact sur le climat ;

La contribution climat-énergie doit être mise en place progressivement, afin de donner aux acteurs la capacité de s’adapter aux changements qu’elle doit entraîner ;

Elle doit s’appuyer sur un mécanisme fiscal à contre-cycle des prix du pétrole, pour assurer la lisibilité à long terme des prix de l’énergie ;

Elle doit être équitable, et permettre un basculement du poids de la fiscalité depuis le travail vers les ressources ;

Il faut enfin associer les collectivités territoriales à sa mise en œuvre, et leur donner un intérêt financier direct dans la lutte contre le changement climatique.

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