Climat : « la situation reste globalement bloquée »

, par   Pierre Radanne

Pierre Radanne
www.e24.fr, vendredi 06 novembre 2009
Propos recueillis par Catherine Vincent

La dernière réunion préparatoire de la conférence sur la changement climatique de Copenhague se termine ce vendredi à Barcelone. Pierre Radanne, ancien président de l’ADEME, y était en qualité de consultant (PNUD) pour la délégation de la République Démocratique du Congo et consultant (OIF) pour les délégations de l’Afrique francophone. Pour E24, il fait un bilan de la rencontre et analyse les blocages.

E24 - Quel bilan tirez-vous de la rencontre de Barcelone, la dernière réunion préparatoire sur le changement climatique avec Copenhague ?

Pierre Radanne - A Barcelone, les pays sont réellement entrés en mode négociation. La semaine a débuté sur les chapeaux de roue avec la décision du groupe de négociation Afrique de boycotter les séances tant que les pays industrialisés ne s’engageraient pas sur un objectif d’atténuation sérieux à 2020. Ils ont mis fin au boycott mais ont prouvé qu’ils pouvaient peser dans l’arène internationale et que l’accord ne pourrait se faire sans eux.

Ce coup de force a permis d’enclencher le débat sur les objectifs quantifiés, jusqu’ici bloqué. Par ailleurs, la séance de négociation à Barcelone a permis de faire avancer le débat sur l’architecture financière de l’accord post-2012. Elle a aussi permis d’aboutir à des textes lisibles et rédigés sous forme juridique sur l’adaptation et sur les forêts.

Cependant, la situation reste globalement bloquée.

Quels sont les principaux obstacles ?

Les négociations sur les objectifs climatiques sont bloquées puisque les pays n’arrivent pas à s’accorder sur une "vision partagée" à 2050. L’objectif proposé (-50% des émissions mondiales) implique de facto un effort de la part des pays en développement. Ces derniers craignent de se retrouver liés à un objectif contraignant et inéquitable à 2050. La vision partagée sera le facteur de bouclage et ne fera l’objet de concessions réelles qu’après un accord sur les autres enjeux de la négociation climat.

Les négociations sur le financement sont aussi bloquées. Sur la question des ressources financières, il y a plusieurs positions sur la table : la récente proposition des Etats-Unis d’abonder un fonds international (géré par une institution financière internationale) par des contributions volontaires ; celle de l’UE (sur la base de la proposition mexicaine) d’un fonds multilatéral pour le climat qui serait abondé par des contributions des pays sur la base du PIB et du niveau d’émission ; enfin, la proposition suisse d’une taxe universelle par habitant de 2 dollars américains par tonne d’émission au-delà d’un certain seuil. Sur la question de l’attribution des fonds, les options ont été affinées mais ne convergent pas. Le débat va maintenant porter sur l’affinage des options techniques pour une architecture financière.

Sur les montants des transferts financiers, il y a de trop grandes divergences entre les montants exigés par les pays en développement et ceux proposés par les pays industrialisés qui invoquent la crise financière et économique mondiale. En outre, depuis la ratification de la Convention de Rio en 1992, très peu des financements promis (notamment pour l’adaptation au changement climatique) ont été transférés vers les pays en développement. Cette fois-ci, les promesses doivent être tenues et les pays du G77 ont été très clairs sur ce point : "no money, no deal".

Un autre obstacle se niche dans le débat sur la forme de l’accord : l’UE demande un instrument juridique unique (par exemple, un nouveau protocole intégrant des éléments du Protocole de Kyoto et de la Convention) ratifiés par tous les Etats. Les européens craignent que Copenhague ne débouche que sur des petites décisions juridiquement non-contraignantes ne permettant pas un véritable accord post-2012. Les pays du G77 en revanche veulent conserver le protocole de Kyoto et la Convention tels quels et voient dans la proposition européenne la mort du Protocole de Kyoto.

Dans quels délais a-t-on, selon vous, des chances d’aboutir à un accord ?

On peut envisager une sorte d’accord-cadre à Copenhague si les ministres arrivent à s’entendre sur une trame et sur la nature juridique de l’accord. Arriver à un accord va cependant nécessiter des concessions sur une des demandes des pays en développement : soit des chiffres sur la table en termes de transferts financiers, soit des objectifs sérieux de la part des pays développés, soit un accord sur les financements pour l’adaptation au changement climatiques dans les pays vulnérables.

Dans le cas d’une trame d’accord à Copenhague, on peut envisager une conférence des Parties (une sorte de COP 15 bis) en juin 2010 pour arriver à donner une forme juridique à la trame de l’accord adoptée par les chefs d’Etat.

La Chine vous paraît-elle ouverte à un changement de comportement ?

La Chine a déjà changé de comportement. Son président a annoncé en octobre une prise d’engagement quantifié à l’échelle nationale. Elle compte réduire l’intensité carbone par unité de PIB et l’inscrit dans son prochain plan quinquennal. Il s’agit là d’une concession politique d’envergure. Elle continuera à refuser une remise en question de son statut de "pays en développement" mais accepte l’idée d’une prise d’engagement sur une base volontaire. (N’oublions pas qu’elle y trouve son compte puisque son économie repose notamment sur une consommation inefficiente de charbon et elle peut facilement réduire ses émissions à un moindre coût, tout en boostant son économie et en créant de l’emploi). La Chine pourrait accepter d’inscrire ses engagements (toujours sur une base volontaire cependant) dans un accord juridiquement contraignant, à condition que les Etats-Unis ratifient l’accord.

Où en sont les Etats-Unis ?

Les Etats-Unis sont pieds et poings liés tant que l’ACES Act ne sera pas passée au Congrès. Mais ils ont mis un certain nombre de propositions sur la table à Bangkok : notamment, une proposition pour l’architecture financière et une pour un fonds pour l’adaptation. Ils sont prêts à augmenter les transferts financiers vers les pays en développement mais à condition d’impliquer très étroitement le marché carbone et le secteur privé. Ils soutiennent les transferts de technologie à condition que le régime des droits de propriété intellectuelle ne soit pas remis en cause.

En revanche, ils exigent un engagement quantitatif de la part des pays émergents avant de se prononcer sur leur propre engagement.

Les engagements proposés sont-ils à la hauteur des enjeux ?

Les financements disponibles sont loin de suffire aux besoins d’adaptation et de développement, d’atténuation, de transferts de technologie. Les ONG et pays en développement estiment les besoins pour l’adaptation à 100 milliards USD par an alors que les pays industrialisés évaluent à 100 milliards USD maximum (et en comptant lourdement sur le marché carbone) les financements disponibles pour le climat. Il faut prendre ce problème progressivement et commencer par dégager des financements à très court terme pour enclencher un passage immédiat à l’action et ainsi, enclencher une dynamique de développement propre dans les pays en développement tout en parant aux besoins d’adaptation les plus urgents.

Les engagements chiffrés proposés par les pays industrialisés (dit annexe 1) pour la deuxième période d’engagement (2012-2020) permettent d’obtenir un objectif agrégé entre 11 et 24% (seulement en cas d’un accord "réussi"), loin des 40% exigés par de nombreux autres pays en développement (notamment la Chine, les Pays les Moins Avancés, les Etats-îles en développement). C’est aussi pour cela que le groupe Afrique a décidé de boycotter les négociations en début de semaine.

Les engagements proposés ne sont en effet pas à la hauteur des enjeux : les pays les plus vulnérables demandent aux pays industrialisés un objectif de réduction de -45%. Ces objectifs seraient difficilement atteignables d’ici 2020 (moins de 10 ans), notamment parce que des politiques de renouvellement d’infrastructures, de parcs immobiliers et de véhicules et le développement d’une production électrique alternative se font sur 20 ans. Il faudrait envisager un accord à échéance de 2030 pour raccrocher les "délinquants" du Protocole de Kyoto (notamment Etats-Unis, Australie, Canada…). Ils pourraient rattraper leur retard sur les objectifs de 2012 et enclencher une dynamique forte de réduction d’émissions d’ici 2030.

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