Borloo : Monsieur Jourdain de la décroissance ?

, par   Benjamin Dessus, Yves Marignac

Benjamin Dessus et Yves Marignac
Le Cercle Les Échos, mardi 28 septembre 2010

Le 20 août dernier, Jean-Louis Borloo annonçait fièrement que « la diminution des émissions de gaz à effet de serre (GES) s’accélère à un rythme spectaculaire, près de 4 % pour la seule année 2009, une réduction de 10,3 % de 1990 à 2009 ». Bravo ! Mais comment expliquer ce brillant résultat ?

Pas du côté du nucléaire, puisque sa production a chuté de 7,7 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep) en 2009. Ce manque à produire d’une énergie réputée sans carbone aurait dû nous coûter entre 12 et 25 Mt de CO2 supplémentaires ! Alors, les renouvelables ? L’éolien a crû de 35 % en 2009, mais en valeur absolue seulement de 2,1 térawattheures (TWh). C’est bien loin de compenser la chute de production de l’hydraulique, de 6,5 TWh en 2009. La production de l’ensemble des renouvelables a augmenté de 0,3 Mtep, de quoi n’expliquer qu’une chute de 1 Mt de CO2 !

À consommation inchangée, nous aurions dû émettre plus de CO2 qu’en 2008. C’est donc dans la consommation d’énergie, qu’il nous faut chercher l’explication. La baisse des émissions de 10 % constatée se concentre sur les années 2008-2009. La chute des émissions du CO2 d’origine énergétique en 2009 (21 Mt) est imputable pour l’essentiel à la chute de production de quelques secteurs très touchés par la crise : - 11,8 % dans l’industrie avec un pic à - 26,6 % dans la sidérurgie et - 12,8 % dans l’énergie du fait de la crise du raffinage. À eux seuls, ces deux secteurs sont responsables des deux tiers de la réduction d’émissions alors qu’ils ne comptent que pour 31 % dans le bilan CO2 français. La réduction est bien plus modeste dans l’habitat tertiaire (- 3,4 %) et très faible dans les transports (- 1,6 %) malgré la chute du trafic des poids lourds (- 12 %).

Bien plus que la maîtrise de l’énergie, c’est donc la chute de l’activité productrice qui explique en premier lieu le résultat dont s’enorgueillit notre ministre. Et en dehors de cette période de crise, qu’on espère achevée ? Comparons les évolutions énergétiques observées par rapport aux objectifs de la loi Pope de 2005, fixant les orientations de politique énergétique :

• la consommation d’énergie finale nécessaire pour produire une unité de PIB, qu’on appelle « l’intensité énergétique finale du PIB », censée décroître de 2 % par an en 2015 ne diminue que de 0,4 % en 2009, après une totale stabilité en 2008, pour une moyenne 2005-2009 de - 1,2 % ;

• le taux de renouvelables dans l’approvisionnement en énergie primaire, qui devait atteindre 10 % en 2010 n’atteint que 7,7 % en 2009.

Ces points nous ont pourtant toujours été présentés comme des passages obligés sur le chemin de notre engagement européen de réduction de 20 % de nos émissions en 2020 et d’un facteur 4 en 2050. Manifestement, nous ne sommes pas sur la bonne trajectoire. Allant plus loin, Jean-Louis Borloo déclarait à propos des rejets de GES liés au bilan de nos importations-exportations que « la France, en pointe de l’économie verte et des productions décarbonées, développe un avantage comparatif et est en train de prendre de l’avance ». Il oublie de nous signaler que ce surplus d’émissions, estimé par l’Insee à près de 40 % des émissions nationales, conduit le Français moyen à émettre près de 13 tonnes d’équivalent CO2 par an. Ce poste semble s’être gonflé chaque année depuis 2003 où le déficit commercial s’accroît. La France n’est donc pas 4 fois mais plutôt 5,5 fois trop émettrice de GES par rapport à l’objectif 2050.

Les bons chiffres de ces deux dernières années ne doivent donc pas nous leurrer. C’est très largement la crise qui en est responsable et pas les politiques menées sous l’égide des gouvernements successifs depuis le tournant des années 2000. À moins que notre ministre ne soit en réalité un crypto décroissant [1] engagé ?

Benjamin Dessus est Président de Global Chance
Yves Marignac est Directeur de Wise Paris (World Information Service on Energy)

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Pour une analyse plus détaillée, se reporter à la note rédigée par Yves Marignac pour Greenpeace France : Évolution des émissions françaises de gaz à effet de serre : une baisse en trompe l’œil

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[1Le propos de cette tribune est de mettre en avant la part prépondérante du ralentissement économique observé en 2008-2009 dans la diminution des émissions françaises. Dès lors, la mention faite au concept de décroissance dans cette phrase de conclusion comme dans le titre était inappropriée. En effet, la décroissance en tant que projet politique global et cohérent ne saurait être assimilée à la notion de « récession » économique. (Note de la rédaction de www.global-chance.org)