Astrid et le pot au lait

, par   Benjamin Dessus

Après l’EPR, considéré comme dépassé et ruineux avant même d’avoir été mis en marche, la nouvelle coqueluche du lobby pro-nucléaire français est un projet de réacteur surgénérateur (au plutonium et au sodium fondu) dit de quatrième génération. Dénommé Astrid pour les besoins de la com’, ce projet est paré de toutes les vertus, dont, bien entendu, sa future « compétitivité » sur le marché de la production électrique à l’horizon 2050... L’argument, toutefois, frise l’escroquerie intellectuelle : cette soit-disant compétitivité est calculée par rapport à celle de l’EPR et non par rapport à l’ensemble des sources possibles d’électricité ; qui plus est, elle suppose, toutes choses égales par ailleurs, que le prix de l’uranium soit d’ici là multiplié par 13...

Page publiée en ligne le 14 mars 2015

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Astrid et le pot au lait (Benjamin Dessus, tribune)
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ASTRID ET LE POT AU LAIT

Benjamin Dessus, Le Club Mediapart, mercredi 25 février 2015

La reine Astrid doit se retourner dans sa tombe quand elle voit qu’on utilise son célèbre prénom couvrir une entreprise qui n’a rien à envier à l’affaire du pot au lait de Pérette.

Astrid, vous savez, c’est le fameux réacteur surgénérateur (au plutonium et au sodium fondu) dit de quatrième génération. C’est, semble-t-il, le projet de réacteur sur lequel compterait la ministre de l’environnement pour renouveler notre parc nucléaire, quand malgré tous les soins apportés, il finira par s’éteindre. Abandonnée l’idée de l’EPR déjà considéré comme dépassé et ruineux avant même d’avoir été mis en marche. Sautons cette étape ratée pour virer en 2050 en tête de course, avec ce surgénérateur paré de toutes les vertus. Il nous promet à la fois, tout au moins sur le papier, de nous prévenir définitivement de la pénurie d’uranium et des niveaux de sécurité et de sûreté irréprochables. Et à ceux qui, avec quelques très bonnes raisons, comme Bernard Laponche dans un article récent, affichent des doutes sur la réalité de ces vertus, on oppose l’argument massue, celui de la compétitivité dont on connaît le poids prépondérant pour nos élites.

Les réserves d’uranium 235 (le combustible actuel du nucléaire), qui ne sont évidemment pas inépuisables, vont forcément se raréfier au fur et à mesure qu’une plus grande quantité d’électricité aura été produite dans le monde. Le coût de l’uranium 235 ne peut donc que croître, nous dit-on. Dans ces conditions le coût de l’électricité des réacteurs de deuxième et troisième génération ne peut lui aussi que croître…

Bien que le CEA reconnaisse que le réacteur Astrid, plus compliqué que l’EPR à fabriquer, coûtera au minimum 30% de plus au kW que ce dernier, il arrivera bien un moment où le prix de l’uranium deviendra si élevé que son coût dans le kWh EPR deviendra supérieur à celui de l’amortissement de ces 30% supplémentaires d’investissement…

Raisonnement a priori imparable qui conduit le CEA à prévoir une rentabilité du kWh d’Astrid pour des coûts de l’uranium multipliés par 10 ou 15 par rapport à son prix actuel.

À deux nuances de taille près cependant :

Tout d’abord notre expérience récente des prévisions d’épuisement des ressources et des coûts du pétrole devrait nous conduire à une certaine prudence en ce qui concerne l’uranium, surtout quand on sait que la production nucléaire mondiale est en chute constante depuis le début des années 2000 (- 10%).

Mais surtout, et c’est là que l’on frise l’escroquerie intellectuelle, la compétitivité est calculée, non pas par rapport à l’ensemble des sources possibles d’électricité, mais par rapport à celle de l’EPR. Or comme chacun le sait aujourd’hui grâce au tarif contractuel qui régit la vente par EDF de réacteurs EPR au Royaume-Uni, ce coût est de l’ordre de 115€ /MWh, déjà 60% plus élevé que celui de l’électricité gaz, charbon ou éolien. Et dans ce coût du kWh EPR, l’amortissement représente 80% et l’uranium moins de 2%. Pour compenser le surcoût initial d’Astrid et rendre son MWh compétitif, il faudrait donc (toutes choses égales d’ailleurs) que le prix de l’uranium soit multiplié par 13 environ, portant le coût du MWh EPR de 115 € à 137€. C’est à peu près le double du coût des filières de production d’électricité actuelles…

Si jamais le CEA et l’industrie nucléaire nous pondent la couvée prévue, nous pouvons au moins être assurés d’une chose, c’est que ses poussins de luxe auront bien du mal à trouver preneur, même si d’aventure le développement de ce réacteur et de la civilisation du plutonium qui va avec se déroulaient sans aucune anicroche, ce qui est bien improbable…

Adieu alors veau vache cochon, couvée. En lot de consolation nous aurons toujours du plutonium à revendre pour fabriquer des bombes pour plusieurs dizaines d’années…

Benjamin Dessus
Ingénieur et économiste, Président de l’association Global Chance

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Jean-Paul Schapira, Le Monde, 14 avril 1993, tribune reprise dans Global Chance et le nucléaire - Écologie, environnement et médias - Sciences, progrès et développement, Les Cahiers de Global Chance, n°2, juin 1993, 56 pages

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